Economie

La Cour constitutionnelle allemande fixe un ultimatum à la BCE et menace la zone euro

Dans son jugement du 5 mai, la plus haute juridiction allemande conteste la légitimité du programme de rachat d’actifs publics décidé par la Banque centrale européenne. Cette décision menace la zone euro et fait fi de la jurisprudence européenne.

La Cour constitutionnelle allemande a exigé, dans un jugement du 5 mai, que la Banque centrale européenne (BCE) justifie, sous trois mois, la conformité à son mandat de ses rachats d’actifs publics. Ainsi, le Conseil des gouverneurs de la BCE devra «démontre[r] de manière compréhensible et justifiée que les objectifs de politique monétaire poursuivis par le PSPP [public sector purchase programme – programme d’achats d’actifs publics] ne sont pas disproportionnés par rapport aux effets de politique économique et budgétaire résultant du programme».

En d’autres mots, l'institution basée à Francfort a trois mois pour prouver que les bénéfices pour l’économie de la zone euro de la politique qu’elle a mise en place depuis mars 2015 justifient son impact sur l’épargne et le système bancaire européen, et surtout allemand.

Outre-Rhin, Mario Draghi, prédécesseur jusqu’à fin 2019 de la Française Christine Lagarde à la tête de l’institution européenne, a été très largement accusé d’avoir vidé les livrets des petits épargnants allemands (par l’effet de la baisse des taux), asséché les fonds de pension garantissant les retraites (pour la même raison) et mis au bord de la faillite le système bancaire allemand (voir supra).

A défaut de la démonstration requise, la Bundesbank, banque centrale allemande, devra cesser de «participer à la mise en œuvre et à l’exécution des décisions de la BCE» et vendre les obligations déjà achetées et détenues dans son portefeuille via le programme incriminé.

Selon un décompte de l’agence Reuters, ses obligations représentent un montant de près de 534 milliards d’euros. Enfin, si la BCE refusait de se soumettre à la demande des magistrats allemands, on voit mal comment Jens Weidmann, président de la Bundesbank, pourrait conserver son siège au sein du conseil des gouverneurs. Cité par Reuters, ce dernier a d’ores et déjà déclaré qu'il soutiendrait les efforts de la BCE] «pour satisfaire à cette exigence».

L'action de la BCE jugée «hors de ses compétences»

Saisie par plusieurs plaignants eurosceptiques allemands, la Cour constitutionnelle basée à Karlsruhe explique n'avoir «pas pu établir de violation» par la BCE de l'interdiction qui lui est faite de financer directement les Etats européens (article 123 du Traité de fonctionnement de l’UE). Toutefois les magistrats de Karlsruhe jugent ultra-vires, terme juridique latin qui signifie «hors de ses compétences», les décisions successives de l'institut de Francfort de rachat de dette publique, dans le cadre de son programme dit d’ «assouplissement quantitatif» lancé en mars 2015 et réactivé novembre dernier.

Ils jugent également ultra-vires, et donc sans valeur exécutable, le jugement de la Cour de justice de l’Union européenne qui avait statué en décembre 2018 que la BCE faisait bien son travail. Dans son communiqué, la juridiction allemande précise que son jugement «ne concerne pas » le programme d'urgence contre la pandémie (PEPP) annoncé mi-mars par la BCE et doté de 750 milliards d'euros d'ici la fin de l'année.

Le Conseil des gouverneurs de la BCE a réagi le jour même par un communiqué laconique dans lequel il «prend note» du jugement de la Cour constitutionnelle allemande. Mais il n’y répond que pour dire qu’il «reste fermement résolu à faire tout ce qui est nécessaire dans le cadre de son mandat pour faire en sorte que l'inflation atteigne des niveaux compatibles avec son objectif […] et que les mesures de [sa] politique monétaire […] soient transmises à toutes les parties de l’économie et à toutes les juridictions de la zone euro».

La BCE conclut sa brève réponse en rappelant le jugement rendu en décembre 2018 par la Cour de justice de l’Union européenne sur la question de l’exécution de son mandat – jugement contesté dans sa légitimité par la cour allemande.

La Commission réaffirme la «primauté du droit communautaire»

«Nous réaffirmons la primauté du droit communautaire et le fait que les arrêts de la cour de justice européenne sont contraignants pour toutes les juridictions nationales», a de son côté déclaré le porte-parole de la Commission, Eric Mamer, interrogé sur la décision de la Cour constitutionnelle allemande. «Nous allons maintenant étudier la décision de la justice allemande en détail. Etant donné la complexité de l'arrêt, c'est notre seule réaction», a-t-il ajouté.

En Allemagne, Alexander Dobrindt, chef du groupe conservateur bavarois CSU qui soutient le gouvernement d'Angela Merkel au Parlement, a déclaré que la décision envoyait un «signal d'avertissement» à la banque centrale. «La BCE devrait revenir à son mandat initial qui était de garantir la stabilité de la monnaie commune», a ajouté Dobrint.

L’arrêt définitif de la Cour de Karslruhe, qui ne peut pas faire l'objet d'un appel, fait manifestement peser une forte incertitude sur la cohésion de la zone euro en exerçant une pression sur la Bundesbank. Il place également Berlin en porte-à-faux avec la Cour de justice (CJUE), la plus haute juridiction en matière de droit de l'Union européenne (UE).

Bruno Le Maire réagit

Luis Garicano, un membre libéral espagnol du Parlement européen, a déjà réagi en déclarant : «L'Europe ne peut pas fonctionner si les Cours constitutionnelles nationales décident unilatéralement [...] Attendez-vous à ce que la Cour constitutionnelle hongroise et polonaise suive ce précédent.»

En France, le ministre de l'Economie et des Finances a aussi réagi par une déclaration transmise à la presse dans laquelle il estime que «la décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe n'est pas un élément de stabilité». Bruno Le Maire apporte un soutien appuyé à la BCE, en déclarant qu'elle «seule est à même de juger ce qui est nécessaire en termes de conduite de la politique monétaire en zone euro». 

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