Economie

Coronavirus : comment la crise chamboule le monde du travail

Télétravail, chômage partiel, assouplissement des règles sur la durée hebdomadaire et les congés payés. Des millions de Français ont vu leur rapport au travail changer. Faudra-t-il s’y résoudre le temps du confinement, ou pour plus longtemps ?

«Scandaleux», «outrancier», «régressif»… Les syndicats sont vent debout contre les ordonnances du gouvernement visant à faire face à l’urgence sanitaire. La CGT a d’ailleurs déposé un préavis de grève d’un mois pour avril dans la fonction publique. Objectif : dénoncer des mesures qu’elle qualifie d’«antisociales». Parmi les plus décriées, celle permettant d’allonger la limite légale de la durée hebdomadaire de travail de 48 à 60 heures dans certains secteurs jugés cruciaux pour le pays. Dans le même esprit, on pourra travailler jusqu’à 12 heures par jour, et voir son temps de récupération réduit à 9 heures contre 11 actuellement. Et puis il y a le recours aux congés payés, qu’un employeur pourra imposer à ses salariés, dans un délai nettement plus court.

Sans parler des RTT qu’il faudra solder. Autant de dispositions qui ulcèrent Mireille Bruyère, enseignante à l’Université de Toulouse et membre des Economistes atterrés. «Dans cette crise, on prend des décisions qui vont créer des précédents. Que va-t-on faire de ces dérogations une fois l’état d’urgence sanitaire passé ? C’est pas gagné !» Pour elle, cette crise aura valeur de test dans les rapports de force sociaux, avec peut-être à la clé «la création de nouveaux collectifs de lutte» dans le sillage du mouvement des Gilets jaunes. Comme pour promouvoir le droit de retrait, régulièrement mis en avant dans la distribution ou les transports, en première ligne face à l’épidémie.

Si le gouvernement prend quelques libertés avec le code du travail, il ne lésine pas pour autant sur le chômage partiel. Car comme le claironne la ministre du travail Muriel Pénicaud : «L’objectif est clairement de ne pas licencier». A ce jour, 150 000 entreprises ont demandé à en bénéficier, pour un total d’1,6 million de salariés. Et ce n’est qu’un début. Pour Eric Heyer, économiste à l’OFCE, prendre en charge les salaires jusqu’à 84% du net, et 70% du brut, est un signal fort : «Si on met tout le monde au chômage partiel, le taux de chômeurs ne va pas augmenter. L’exemple allemand, en 2008, montre que cela permet de le contenir en période de crise». Il estime d’ailleurs à 4,5 millions le nombre de salariés éligibles à cette activité partielle si le confinement dure un mois. Mais après ? Certaines entreprises pourraient-elles profiter du coronavirus pour tailler dans leurs effectifs ? Mireille Bruyère le craint, au prétexte de plans d’économie qui commencent à être annoncés. «On va nous dire que l’on peut faire plein de choses par internet, et on va limiter les recrutements».

Internet justement, qui rend possible le télétravail dont on parle tant. Peut-il devenir la norme pour les salariés pouvant travailler depuis chez eux ? Eric Heyer n’y croit pas : «D’après nos évaluations, 8 à 8,5 millions de salariés peuvent télétravailler. Sur une population active de 25 millions de personnes, ça ne sera jamais une majorité». Mireille Bruyère, elle, se méfie de cet engouement soudain pour le travail à distance. L’économiste dénonce l’omniprésence du numérique : «Le travail ne peut pas se déployer avec ces outils. Le numérique casse le travail collectif, ce qui est informel et donc la création. Il met en péril la question même du sens au travail». Sans aller jusque-là, Eric Heyer voit dans la visioconférence un vrai changement des habitudes de travail. «On va se rendre compte que des systèmes comme Skype sont très performants et que l’on peut les utiliser quotidiennement. Le problème c’est que l’on passe beaucoup plus de temps en réunion qu’avant. On ne voit plus les journées passer !»

Au final, est-on plus ou moins productifs à distance ? Difficile de trancher pour l’économiste. Dans son cas personnel, télétravailler n’est pas forcément de tout repos : «Avec le confinement, tous les jours se ressemblent, et on peut être tenté de travailler un peu tout le temps, y compris le soir et le week-end». A quand le bout du tunnel ?