La Russie est jusqu’à présent relativement épargnée par la propagation du nouveau coronavirus. Le 25 mars, le bulletin de situation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne répertoriait encore aucun mort, et moins de 700 cas infectieux confirmés en Russie, contre respectivement 149 et 31 554 en Allemagne, et 1 100 décès pour près de 32 000 cas en France.
Mais le soir même, dans un discours télévisé exceptionnel, le président Vladimir Poutine a annoncé plusieurs mesures sociales et économiques destinées à faire face à la crise qui s’annonce. Il a en particulier décrété une semaine chômée, du 28 mars au 5 avril, ainsi que le report du vote sur la réforme constitutionnelle afin de ralentir la progression de l'épidémie. En revanche, aucune mesure de confinement de la population n'a été ordonnée.
Face aux perspectives de récession mondiale qui ne manqueront pas d’affecter l’économie russe, Vladimir Poutine a également dévoilé des mesures immédiates en faveur des familles et des petites et moyennes entreprises. Les premières, dans le cadre du programme de soutien à la natalité, percevront des allocations mensuelles supplémentaires. Les secondes bénéficieront de reports de paiement des taxes (hors TVA) ou arriérés d’impôts. En outre, le montant des cotisations sociales et impôts sur le revenu sera réduit de moitié pour les rémunérations supérieures au barème minimum.
Soutien aux PME et taxe de 13% sur les dividendes offshore
Du point de vue fiscal, une taxe additionnelle de 13% sera prélevée sur tout paiement de dividende vers un compte étranger et sur les intérêts de certains actifs au-delà d’un capital de 1 million de roubles (12 000 euros) pour alimenter un fonds de lutte contre les effets économiques de la crise sanitaire mondiale.
La réaction de la Russie diffère de celle d’autres Etats. Sa banque centrale a décidé de ne pas réduire les taux pour stimuler l'activité économique, comme l'ont fait d'autres grandes banques centrales. Cette démarche est liée à une inflation importante de 0,3% par semaine. C'est également le fruit d'un choix de stratégie financière.
«Au lieu de fournir une aide financière à partir des réserves et de lever de nouvelles dettes, l'Etat russe préfère alléger le fardeau des entreprises et aider directement les ménages», analyse BCS Brokerage cité par Reuters.
Peu ou pas de croissance en 2020
Les perspectives d’activité économique de la Russie sont néanmoins d’ores et déjà dégradées. L’agence de notation Moody’s a par exemple abaissé ses prévisions de croissance du produit intérieur brut (PIB) en 2020, de 1,5% à 0,5% en raison des prix bas du pétrole et d’une consommation des ménages réduite par la perte de pouvoir d’achat du rouble pour les produits d’importation.
Les entreprises russes devraient également être touchées. Selon un sondage du Center of Strategic Research, un groupe de réflexion basé à Moscou, auprès de 500 sociétés, ces dernières s'attendent en moyenne à une baisse de 23% de leur chiffre d'affaires et de 16% de leurs effectifs d'ici la fin de l'année.
Une situation malgré tout moins mauvaise que celle des premières économies de la zone euro, comme la France ou l’Allemagne. Berlin a en effet a annoncé en début de semaine une récession en 2020 équivalente à 5% du PIB, ainsi que l’émission – pour la première fois depuis plus de 15 ans – de 156 milliards d’euros de dette, près de 5% de son PIB.
Mais la situation évolue rapidement, et les projections économiques semblent aléatoires. Le 27 mars Standars’s & Poors a par exemple confirmé la note de la dette russe mais, contrairement à Moody’s, a prédit une contraction de 0,8% du PIB russe.
Solidité financière et réserves budgétaires
Les agences de notation reconnaissent toutefois à la Russie une situation budgétaire plus solide et même certains avantages compétitifs en raison de la chute du rouble.
Face à la baisse des cours, les pays producteurs chez lesquels une part très importante des recettes budgétaires et rentrées de devises est générée par les ressources énergétiques sont particulièrement vulnérables. Ainsi, en Irak et au Koweït, une baisse des revenus équivalente à 10% du PIB (en PIB de 2019) est attendue, tandis qu'en Arabie saoudite, elle devrait être comprise entre 4 à 8%.
En Russie, au Kazakhstan ou au Nigéria, l’impact sera inférieur à 3% du PIB, ce qui devrait permettre de maintenir un budget au pire légèrement déficitaire de 1% après un excédent de plus de 5% en 2019, chiffre qui pourrait être légèrement révisé à la baisse sous l’effet du dernier trimestre.
La situation financière de la Russie est jugée globalement solide grâces aux réserves de change de la Banque de Russie (or exclu), lesquelles couvrent désormais 90% de la dette extérieure contre 55% en 2014. La Russie pourra aussi amortir certains chocs grâce aux réserves accumulées dans le Fonds national de protection sociale qui représente 11,2% du PIB. Il suffira à couvrir la baisse des revenus de l'industrie pétrolière, selon Moody’s.
La baisse du rouble, un avantage compétitif sur le marché des hydrocarbures
La baisse du rouble de plus de 15% face au dollar a par ailleurs engendré une baisse des coûts de production des compagnies pétrolières russes, contrairement à Aramco, dont les charges dépendent du riyal saoudien, indexé sur le dollar à un taux de 3,75 riyals.
Enfin, Moody’s prévoit une remontée de la demande mondiale dès la fin de l’année avec des prix du baril de Brent (brut de la mer du Nord) entre 40 et 45 dollars, puis entre 50 et 55 dollars l’année suivante.
Les producteurs américains sous pression
En revanche, pour certains acteurs du secteur américain des hydrocarbures, l’impact est immédiat et très sévère, comme pour Occidental Petroleum, dont le Investors Service de Moody’s a abaissé, le 17 mars, la cote de sa dette «au statut de junk» (à risque), annonçant et signalant «de grosses difficultés de crédit [à se refinancer]».
L’an dernier, Occidental Petroleum avait contracté une dette non gagée (senior unsecured) de 40 milliards de dollars pour racheter Anadarko Petroleum Corp, un de ses concurrents nationaux. Depuis, l’effondrement des cours du pétrole, dû au blocage de l’Opep+ en raison d'un désaccord entre l'Arabie saoudite et la Russie, a rendu cette dette insoutenable.
Jean-François Guélain