Economie

Les vegans ont-ils eu la peau des éleveurs ?

Les discours remettant en cause la consommation de viande jouissent d’un écho croissant dans les médias, mais les statistiques montrent qu’ils ont peu d’incidence sur sa consommation. Eleveurs et professionnels de la viande s’inquiètent néanmoins.

Avec son doux regard et son pelage soyeux, Idéale, belle Charolaise de six ans et «égérie» du Salon international de l’agriculture qui s’ouvre le 22 février à Paris, a toutes les chances de connaître un franc succès.

Mais dans les assiettes, ses congénères auraient moins la cote. Selon une étude parue en 2015 de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) sur 50 ans d’évolutions de la consommation alimentaire en France, «la part de la viande diminue depuis les années 1980».

De 26% à son apogée en 1967, sa part du panier alimentaire est passée à 20% en 2014. L’Insee précise toutefois que «ce recul provient à la fois de volumes et de prix moins dynamiques que ceux des autres composantes du panier». Autrement dit, on achète moins de viande et ses prix ont augmenté moins vite que ceux d’autres produits alimentaires. 

Faut-il en déduire qu’il existe une tendance de fond à la réduction de la consommation de viande en France ? Et si c’est le cas, cette tendance est-elle liée à des changements de comportement influencés par des préoccupations telles que la préservation de l’environnement, la santé ou àce que l’on présente à gros traits comme «la cause animale» ?

FranceAgriMer, établissement public affilié au ministère de l’Agriculture, s’est intéressé à ces questions dans plusieurs études récentes. En 2019 l’établissement public a rendu les résultats de l’une d’elles, intitulée «Combien de végétariens en Europe ?». Son préambule évoque «le contexte actuel d’une médiatisation croissante du végétarisme et de la végétalisation de l’alimentation».

Les auteurs avancent que la suppression de la viande du régime alimentaire est souvent présentée comme l’«une des principales tendances émergentes de la consommation alimentaire en France, au même titre que l’alimentation-santé, le locavorisme ou la recherche de la naturalité».

Impact pour les filières animales et végétales

Ils font aussi «le constat plus général d’une baisse de consommation de la viande, notamment de la viande rouge» et de divers phénomènes «qui pourraient avoir une capacité à modifier les choix alimentaires des Français et ainsi impacter tant les filières animales que végétales».

Pourtant, cette étude menée en partie sur la base d’une enquête du Crédoc – institut sous tutelle publique habitué à mesurer et analyser des tendances – montre que les personnes déclarant ne jamais consommer de viande (hors produits de la mer) restent très minoritaires.

En France, ils ne sont que 2,3%, en Espagne 1,1% et au Royaume-Uni 3,8%. Quant aux végans convaincus qui ne consomment aucun produit d’origine animale (pas même de bracelet-montre en cuir) ils ne représentent en France que 0,4% de l’échantillon pris en compte. En outre dans aucun des quatre pays européens couverts par cette étude (Allemagne, Espagne, France, et Royaume-Uni) ils n’atteignent 1%.

85 kilos par personne et par an

Une autre étude de FranceAgrimer, révèle qu’entre 2007 et 2018, la consommation annuelle de viande par habitant en France est passée de 85 kilos à …85 kilos.  Certes, elle ne fournit pas de chiffres pour la consommation de viande ovine, mais cette dernière a toujours été marginale.

Dans le détail, sur la période étudiée, la consommation de viande bovine est passée de 26 à 23 kilos (-12%) et celle de viande de porc de 35 à 32 kilos (-7%), tandis que celle de volailles augmentait de 30% (de 24 à 30 kilos).

Enfin, ces chiffres globaux masquent d’importantes évolutions comme une baisse de la consommation de viande à domicile au profit de la consommation hors-domicile, ainsi qu’une augmentation de la consommation de plat préparés au détriment de celle de produits bruts.

En fin de compte, si l’on peut dire que la consommation de viande a reculé en France, c’est parce que les sommes consacrées par les ménages aux achats de viande se sont en effet contractées. Mais cela s’est semble-t-il produit sans incidence sur la consommation globale.

«Naturellement flexitariens»

Cela n’empêche pas la filière de l’élevage de prendre très au sérieux ces évolutions, au point qu’Interbev, l’association des professionnels du bétail et de la viande, vient de produire une campagne de publicité dont le slogan est : «Aimez la viande, mangez-en mieux.»

Elle l'a en outre signée «naturellement flexitariens», faisant de ce néologisme un usage subtilement décalé. Pour Interbev «le flexitarien est un consommateur éclairé, qui mange de tout : des aliments d’origine animale aussi bien que végétale».

Pourquoi en effet ne pas tenter de s’approprier ce terme que seul un Français sur quatre a déjà entendu ? Il faut toutefois noter que dans son étude sur les végétariens en Europe, FranceAgrimer propose une définition de ce terme plus conforme aux usages les plus répandus : «[Un individu] limitant la consommation de viande sans être exclusivement végétarien et sans que ce soit pour des raisons d’argent.»

Jean-François Guélain