Economie

Pays-Bas : la Russie condamnée à verser 50 milliards de dollars dans l’affaire Ioukos

Nouveau rebondissement dans le feuilleton juridique qui oppose depuis 15 ans la Russie aux anciens actionnaires de la compagnie pétrolière Ioukos. Moscou est de nouveau condamné, en vertu d’un traité signé sous Eltsine mais jamais ratifié.

La cour d’appel de La Haye est revenue mardi 18 février sur un jugement de première instance de 2016 annulant la condamnation de la Russie à verser 50 milliards de dollars (46 milliards d'euros) à d'anciens actionnaires de la défunte compagnie pétrolière russe Ioukos.

Dans un jugement rendu le 18 juillet 2014, la Cour permanente d’arbitrage basée à La Haye avait d'abord jugé que quatre plaignants – à l'exception de Mikhaïl Khodorkovski, ancien président de Ioukos – avaient droit à une indemnisation pour la perte de leurs avoirs dans la société pétrolière Ioukos. Cette décision leur permettait de réclamer internationalement la saisie d’actifs de l'Etat russe.

Mais en avril 2016, un tribunal de première instance de La Haye a annulé cette décision fondée sur le Traité de la charte énergétique (TCE) de 1994 car, bien que l’ayant signé sous Eltsine, la Russie ne l’a jamais ratifié. Le tribunal de La Haye estimait donc que la Cour permanente d’arbitrage n’était pas compétente pour juger cette affaire.

Toutefois, dans un communiqué publié le 18 février, la Cour d’appel de La Haye a finalement considéré que «le tribunal arbitral était compétent en vertu du traité sur l'énergie», et estimé que lorsque la Russie l’a signé «elle avait le devoir de l'appliquer provisoirement, à moins qu'il n'entre en conflit avec la loi russe [et que] selon ce tribunal, il n'y avait pas un tel conflit».

Prochaine étape : la Cour suprême des Pays-Bas

Le ministère russe de la Justice a réagi le jour même en déclarant dans un communiqué que «la Fédération de Russie continuera[it] de défendre ses intérêts légitimes et, dans le cadre d'un appel, contestera[it] le verdict rendu par la cour d'appel des Pays-Bas». Il a également précisé qu'il allait désormais saisir la Cour suprême des Pays-Bas.

Selon le ministère russe de la Justice, le tribunal a ignoré que les anciens actionnaires de Ioukos n'étaient pas des «investisseurs de bonne foi [et que] pendant la gestion de Ioukos par les anciens propriétaires majoritaires, il y a[vait] eu une évasion fiscale massive, des transferts illégaux d'actifs à l'étranger, du blanchiment d'argent et d'autres actions illégales».

Ioukos a été mis en faillite en 2006 et a été démantelé par l'Etat russe qui lui réclamait des milliards de dollars d'arriérés d'impôts. Ses difficultés ont coïncidé avec les ambitions politiques prêtées à son dirigeant Mikhaïl Khodorkovski, lequel a alors été présenté par les médias occidentaux comme un opposant au président Vladimir Poutine.

L'héritage des privatisations des années 1990

La société Ioukos, née des grandes privatisations des années 1990, a été achetée en 1995 pour 360 millions de dollars sous Eltsine lors d’une vente aux enchères controversée : seules y avaient été admises deux entreprises contrôlées par Menatep, une sulfureuse banque d’affaires impliquée dans plusieurs scandales financiers et dirigée par Mikhaïl Khodorkovski.

En 2003, alors que les compagnies pétrolières américaines Exxon Mobil et Texaco sont prêtes à racheter Ioukos pour 20 milliards de dollars, son directeur financier Platon Lebedev est arrêté sur soupçon de malversations financières. Quelques mois plus tard, c’est au tour de son président Mikhaïl Khodorkovski d’être incarcéré puis jugé pour «malversations financières à grande échelle» et «évasion fiscale».

Il sera finalement condamné en 1995 à neuf ans de prison ramenés en appel à huit, puis une seconde fois, en 2010, à six ans de prison ramenés à cinq en appel pour «vol de pétrole» et «blanchiment». Mikhaïl Khodorkovsli sera finalement gracié par le président russe Vladimir Poutine en 2013.

Jean-François Guélain