Bien qu’elle représente à peine 0,1% du produit intérieur brut du Royaume-Uni – contre plus de 30% pour les services financiers – la pêche a figuré en bonne place dans le premier discours prononcé, le lundi 3 février à Londres, par Boris Johnson, peu après l’entrée en vigueur du Brexit effectif.
«Nous sommes prêts à envisager un accord sur la pêche. Mais il doit tenir compte du fait que le Royaume-Uni sera un Etat côtier indépendant d'ici la fin de cette année contrôlant ses propres eaux», a ainsi déclaré le Premier ministre britannique. Il a ensuite annoncé «des négociations annuelles avec l'UE […] garantissant que les zones de pêche britanniques soient avant tout destinées aux bateaux britanniques».
La veille, sur la chaîne d’information en continu LCI, Michel Barnier, le négociateur européen pour le Brexit avait par avance rejeté l’éventualité de ces négociations annuelles et assuré que «l'accord sur la pêche sera partie intégrante et non dissociable de l'accord de commerce».
L’absence possible d’un accord commercial, qui reste à négocier au pas de course d’ici la fin de l’année, n’entravera en rien l’activité des autres secteurs économiques, créant tout au plus des difficultés douanières. Mais la pêche, elle, serait directement impactée. Boris Johnson le sait bien et c’est sans doute la raison pour laquelle il a adressé cette mise en garde.
En effet, jusqu’à la fin de l’année, les bateaux de pêche des Etats membres de l’Union européenne ont librement accès aux eaux territoriales britanniques et les navires immatriculés au Royaume-Uni bénéficient en contrepartie des mêmes droits dans les eaux des autres Etats. Mais, faute d’accord d’ici la fin de la période de transition, les chalutiers français, espagnols ou portugais pourraient se voir interdire sans préavis l’accès aux eaux poissonneuses du Royaume-Uni, ce dès le 1er janvier 2021. Or, ils y réalisent entre 30% et 50% de leurs prises, c’est donc une menace directe pour la viabilité économique des entreprises de pêche du continent.
Inquiétude chez les pêcheurs français
L’inquiétude est grande chez les pêcheurs français et a motivé le déplacement de la porte-parole du gouvernement Sibeth n’Diaye et de la secrétaire d’Etat aux Affaires européennes Amélie de Montchalin, dès le 4 février dans le Calvados pour «rassurer» et «faire de la pédagogie». «En hiver, la pêche dans les eaux britanniques représente 70% à 80% de notre chiffre d’affaires», leur a confié Jérôme Vicquelin, cité par le quotidien Ouest France.
Selon ce propriétaire d’un chalutier : «Toute la flottille pourrait être impactée, des chalutiers hauturiers [de haute mer] aux plus petits bateaux, si les Anglais nous interdisaient la pêche. Au risque de provoquer la casse d’une décennie dynamique pour notre profession.»
En effet, selon les chiffres de l’Observatoire européen des marchés des produits de la pêche et de l'aquaculture, la rentabilité de la profession n’a cessé de s’améliorer au cours de la dernière décennie, même si cette amélioration s’est accompagnée d’une réduction significative de la flotte.
Aujourd’hui l'UE est un marché mondial majeur pour le poisson et les fruits de mer. En 2017, la consommation s'élevait à 12,45 millions de tonnes, soit une moyenne de 24 kg par habitant. Cependant, la consommation varie considérablement à travers l'UE, de 56,8 kg par habitant au Portugal à 5,6 kg en Hongrie.
La pêche et l’aquaculture représentent malgré cela relativement peu d’emplois directs par rapport à d’autres secteurs comme l’agriculture et l’industrie. En France, selon des chiffres partiels collectés par Eurostat, le secteur, activités de transformation comprises n’emploierait qu’un peu plus de 25 000 personnes en équivalent temps plein (voir infographie). Mais ces emplois directs entraînent des milliers d’emplois indirects. Et un effondrement du secteur causé par une perte d’accès aux eaux territoriales britanniques aurait un impact économique sur de nombreuses collectivités du littoral.
Jean-François Guélain