«Nous devons commencer le plus rapidement possible à mettre en œuvre les tâches que le président a définies dans son message. C'est la démographie, c'est le soutien aux familles avec enfants et c'est, en fin de compte, la croissance des revenus de la population, l’intérêt accordé à ceux qui ont besoin de l'aide de l'Etat, d'une santé et d'une éducation de qualité. Tout cela consiste à améliorer le niveau de vie de notre peuple», a déclaré Mikhaïl Michoustine, nouveau chef du gouvernement russe, lors de son premier conseil des ministres mardi 21 janvier.
C’est désormais à lui qu’incombe la responsabilité d’atteindre les objectifs fixés pour la Russie d’ici 2024 par Vladimir Poutine dans son «décret de mai» signé le jour de son investiture pour un quatrième mandat présidentiel, le 7 mai 2018. Ce texte, qui tient de lieu de programme d’action pour l’ensemble du mandat, est particulièrement ambitieux dans les domaines sociaux comme la démographie, la santé et la réduction de la pauvreté.
Il demande au gouvernement d’assurer un «accroissement naturel soutenu» de la population de la Fédération de Russie, alors qu’elle a tendance à se réduire ; de porter à 78 ans l’espérance de vie moyenne, alors qu’elle est inférieure à 70 ans ; et de réduire de moitié la pauvreté en Russie.
Le président russe Vladimir Poutine a également déterminé des objectifs économiques précis : le pays doit se hisser au rang de cinquième économie mondiale (alors que la Russie ne se classe aujourd’hui qu’en 11e position) et l’inflation doit être maintenue en-dessous de 4% par an. Enfin, le gouvernement doit mener à bien la réalisation de projets nationaux d’infrastructure affectant les domaines de la santé, de l’éducation, du logement et du transport.
Les causes du départ de Medvedev
Les avis des commentateurs de la vie politique russe divergent sur les causes du remaniement. Mais l’échec du gouvernement Medvedev à offrir à la population des résultats tangibles dans les domaines mentionnés dans le décret présidentiel arrive en bonne place.
Pour Igor Nikolaïev, directeur de l'analyse stratégique chez la société de conseil russe FBK, cité par le portail d’informations financière finam.ru, la démission du gouvernement Medvedev est d’abord liée à la forte et récente dégradation de la situation démographique.
En 2019, la population de la Fédération de Russie a, en effet, baissé de 300 000 personnes après une baisse de 200 000 personnes en 2018. Igor Nikolaïev souligne qu'«avec une telle dynamique, atteindre l'objectif d'une croissance démographique durable en 2024 semble une tâche totalement irréaliste».
Vient ensuite la détérioration des revenus réels disponibles de la population depuis 2014, qui s’accompagne d’une quasi-stagnation de l’économie au regard des besoins de la Russie. En 2019, le produit intérieur brut (PIB) n’a connu que 1,2% de croissance (contre 2,3% en 2018), nettement en-dessous de la moyenne mondiale de 3%, ce qui en ricochet se répercute de façon négative sur la perspective de hisser le rang de la Russie d’ici 2024. Pour autant, Igor Nikolaïev estime qu’il serait «injuste de blâmer complètement l'ancien gouvernement».
Des facteurs extérieurs pèsent sur l'économie russe
Selon la Banque mondiale, l’atterrissage de l’économie russe en 2019 est lié à des facteurs extérieurs comme l’affaiblissement significatif de la croissance et de la demande mondiale sous l’effet des tensions commerciales. L’institution pointe également l’effet négatif de la baisse de la demande pour les énergies fossiles (pétrole et gaz) sur la dynamique des exportations russes, amplifié par les restrictions de production décidées dans le cadre des accords OPEP+ pour soutenir les cours.
Sur le marché intérieur, une politique monétaire stricte (relèvement des taux) au premier semestre 2019, ainsi que la faible croissance du revenu disponible en raison d’une hausse de l'inflation en partie causée par une augmentation de la TVA, couplées au lent démarrage des projets nationaux d’investissement, ont aussi contribué à ralentir l’activité économique. Autre facteur affectant le dynamisme économique de la Russie : le vieillissement de la population, qui réduit les ressources en main-d'œuvre.
Pour le politologue Abbas Galliamov, le remaniement du 15 janvier constitue un aussi un geste à destination de l’opinion publique opposée à l’action du gouvernement précédent. Déplorant l’absence de représentants du monde des affaires dans le nouveau gouvernement, il estime aussi que celui-ci ne présente que peu de différences avec le précédent et que le maintien de personnalités clés comme les deux Sergueï (Lavrov et Choïgou), ministres des Affaires étrangères et de la Défense, révèle que politiquement rien n’a changé.
Andreï Movtchan, spécialiste des politiques économiques à la Fondation Carnegie de Moscou, «ne pense pas que la démission du gouvernement soit un événement politique important». Pour lui, «le réel chef du gouvernement a toujours été le président Poutine», et le fait qu'il transfère un «premier ministre technique» (en l’occurrence Dmitri Medvedev) au Conseil de sécurité national, en le remplaçant par un autre, ne devrait pas aboutir à des changements fondamentaux.
L'avis des marchés
Les principaux indices boursiers russes ont en tout cas salué la nomination d’un nouveau gouvernement. L'indice Mosbirzhi a atteint un seuil historique, tandis que l'indice RTS a établi un record vieux de près de huit ans. Mais dès le lendemain, il a baissé dans le sillage des marchés mondiaux en raison des craintes liées à la propagation d'un virus chinois inconnu, qui a déjà tué 18 personnes et en a contaminé plus de 600.
Selon le quotidien d’opposition Novaïa Gazeta, qui a interrogé des experts des marchés pour évaluer la confiance dans le nouveau gouvernement, les compétences reconnues de Mikhaïl Mitouchine en matière de fiscalité sont appréciées et pourraient l’aider à mettre en œuvre les projets nationaux dont l’économie russe a besoin pour se développer. A tort ou à raison, beaucoup estiment qu’une partie importante de son travail consistera à améliorer la relation avec les entreprises, à réduire leurs coûts et à lever certains obstacles pour les entrepreneurs.
Mais beaucoup attendent aussi que soient traduits dans les faits certaines mesures annoncées par Vladimir Poutine lors de son discours devant l’Assemblée fédérale.
«Le président a proposé de payer le capital maternel dès le premier enfant, et a également promu certaines mesures pour augmenter les revenus de la population. Il est également attendu que le nouveau gouvernement s'engage plus activement dans la mise en œuvre des projets nationaux. L'un des domaines est la construction d'infrastructures, ce qui signifie que nous pouvons nous attendre à une augmentation de la demande de matériaux de construction, de métaux, etc.», estime Andreï Kotchetkov, analyste de la société de courtage Open Broker. Il estime aussi que «ces mesures profiteront au secteur de la consommation, que les autorités ont pratiquement abandonné».
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