Conclu pour une durée de 10 ans l’accord de transit gazier pour la fourniture de gaz russe à l’Europe, via les installations de la compagnie d’Etat ukrainienne Nafotogaz, arrive à échéance le 31 décembre et ne couvrira plus les livraisons à compter du 1er janvier.
Les négociations en vue de son renouvellement sont conduites avec la participation de la Commission européenne et sous la supervision d’un de ses huit vice-présidents, le Slovaque Maros Sefcovic. Désormais chargé des Relations interinstitutionnelles et de la Prospective depuis le 1er décembre, il assure néanmoins, la continuité des négociations, ayant été dans la commission précédente chargé de l’Energie et de l'Union énergétique..
Mais un voile d'incertitude plane sur la dernière ligne droite des pourparlers. La commission européenne ne pouvait le 16 décembre, nous communiquer la date de la prochaine réunion tripartite, c’est-à-dire rassemblant des négociateurs au nom de l’Union européenne (UE) de l’Ukraine et de la Russie. Mais quelques heures plus tard, le 17 décembre le négociateur Maros Sefcovic annonçait une réunion pour le 19 décembre.
Quant aux principaux points d’achoppement, la Commission renvoie aux dernières déclarations publiques de Maros Sefcovi sur cette question, à l’issue du quatrième round de négociations à trois. Datant du 28 octobre, elles avaient été marquées par la déception et un sentiment d’urgence : «Le temps file et, compte tenu de la date, il y a – et il doit y avoir – un sentiment clair d’urgence […] Malheureusement, je suis déçu par les résultats de ce jour.»
Echeveau de querelles juridiques
Lors de ces négociations le représentant de la Commission avait rappelé la position de Bruxelles : un contrat basé sur la législation européenne, un nouveau système de fixation des tarifs «en ligne avec les pratiques de l’Union européenne», et des volumes annuels minimaux de livraison de gaz. Les dernières conversations connues avançaient un accord autour de 40 milliards de mètres cubes par an soit à peu près la moitié des volumes annuels moyens ayant transité par l’Ukraine au cours des dernières années.
Le commissaire a aussi rappelé qu’il avait inclus dans le champ des négociations tripartites, à la demande de la Russie, la question des volumes de gaz vendus à l’Ukraine et des contentieux juridiques entre les deux pays et surtout leurs entreprises publiques concernées : l’ukrainienne Naftogaz et la russe Gazprom.
Kiev a en effet contesté en 2014 une dette accumulée auprès de Gazprom d’un montant estimé à trois milliards de dollars et a obtenu une décision du tribunal d’arbitrage de Stockholm condamnant l’entreprise gazière russe à lui verser 2,5 milliards de dollars (2,25 milliards d’euros). En outre, l'Ukraine veut faire condamner Gazprom à une amende de six milliards de dollars pour violation des réglementations antitrust et d'au moins 11,5 milliards de dollars pour des pertes présumées, causées par l'ouverture du gazoduc Nord Stream 2, dont la construction n’est pas encore achevée.
Le gaz et l'argent du gaz
Fin novembre, après la rencontre à Vienne des ministres russe et ukrainien de l’énergie, il a semblé que les parties s’étaient accordées sur des livraisons de gaz russe qui seraient considérées comme des compensations financières en échange de l’extinction des procédures.
C’est du moins ainsi qu'une partie de la presse spécialisée avait interprété les déclarations de Yuryj Vitrenko, le directeur commercial de Naftogaz Ukraine. Mais la société ukrainienne a remis en cause l’interprétation de ces déclarations par un message sur son compte twitter officiel en réaffirmant qu’il n’y avait toujours pas d’accord signé au-delà de décembre 2019.
A l’issue du dernier round de négociations au format trilatéral, Maros Sefcovic s’est malgré tout déclaré «100% convaincu qu’il y a[vait] une possibilité de parvenir à une solution équilibrée». Le vice-président européen alors chargé de l’Energie a aussi appelé à employer «chaque jour pour les négociations bilatérales» insistant sur la proximité de l’échéance du 1er janvier et sur la nécessité de faire preuve d’une «volonté politique».
Poutine promet une baisse de 25% pour le consommateur final
C’était avant le sommet au format Normandie réunissant les chefs d’Etat d’Allemagne, de France, de Russie et d’Ukraine. Or, abordant la question générale de l’approvisionnement en gaz de l’Europe, le président russe Vladimir Poutine a profité de la conférence de presse commune finale du 9 décembre pour annoncer que le coût du gaz pourrait «baisser de 25% pour le consommateur final».
La difficulté de parvenir à un accord cadre pour dix ans tient à la multiplication de facteurs appelés à modifier le marché du gaz en Europe. Parmi les premiers, l’entrée en service, prévue au cours de l’année 2020 de deux nouvelles conduites sous-marines acheminant le gaz russe vers l’Europe. Au nord le gazoduc Nord Stream2 devrait doubler la capacité actuelle (55 milliards de mètres cubes/an) des livraisons à l’Allemagne, un enjeu majeur pour la première économie européenne qui a décidé de sortir du nucléaire tout en réduisant au minimum sa consommation de charbon et qui augmentera donc au cours des prochaines années sa consommation de gaz.
Au sud, TurkStream qui passe par le fond de la Mer Noire devrait, en plus d’alimenter la Turquie, apporter une vingtaine de milliards de mètres de cubes de gaz par an dans le réseau européen, via Tesla, une extension de TurkStream passant à travers les territoires grec, bulgare, serbe et hongrois avant d’aboutir en Autriche.
Ces deux nouveaux gazoducs réduiraient considérablement l’importance du réseau qui traverse actuellement l’Ukraine et lui confère une importance géopolitique de premier plan, avec un risque de la priver progressivement de revenus du transit – environ 3 milliards de dollars par an.
Les Etats-Unis, très présents en Ukraine, sont en outre désireux de conquérir des parts du prometteur marché du gaz en Europe. Ils y acheminent déjà par cargo, depuis le Golfe du Mexique, leur gaz de schiste. En attendant ils tentent de bloquer l’entrée en service de Nord Stream2 par la menace de sanctions contre les entreprises qui y participent au motif de «protéger l’indépendance énergétique de l’Europe». Des arguments de moins en moins acceptés à Berlin. Quant au renouvellement de l'accord de Transit, ils n'ont pas fait connaître de position officielle. Mais leur conseiller à l'Energie, Rick Perry, ne rate pas une occasion en Europe de dénigrer la fiabilité des livraisons russes par gazoduc.
Vers une répétition de la crise gazière de l'hiver 2009 ?
A quinze jours de la fin du contrat de transit gazier, l’Europe risque-t-elle de connaître une nouvelle crise gazière comme celle de 2009 ? A l’époque le robinet de gaz avait été coupé pendant près de deux semaines au niveau de l’Ukraine avec des conséquences sérieuses pour les pays d’Europe orientale. La Slovaquie a dû déclarer l'« état d'urgence énergétique » ; la Bulgarie n'a eu d'autre choix que de baisser le chauffage de ses HLM à 11 degrés et en Pologne, la mort par hypothermie d'une dizaine de personnes a été indirectement imputée à l'interruption des livraisons de gaz russe.
Cité par Euractiv, le site consacré à l’actualité politique de l’Union européenne, Simon Schulte, directeur des marchés du gaz à l’Institute of Energy Economics de l’Université de Cologne est convaincu qu’il n’y aura pas de rupture de l’approvisionnement en Europe en raison de l’importance des réserves constituées en Ukraine, mais que l’arrêt des livraisons russes pourrait entraîner une flambée des prix du gaz en Europe.
Le mois de janvier sera sans doute l'occasion de vérifier ces prévisions, car la signature d'un accord de transit via l'Ukraine d'ici l'échéance du 31 décembre semble chaque jour plus incertaine. Même si dans la soirée du 16 décembre, le Kremlin a fait savoir que le président russe Vladimir Poutine et la chancelière allemande Angela Merkel avaient évoqué, entre autres sujets, le projet Nord Stream2 et cet accord de transit.
Jean-François Guélain