Mario Draghi présidera jeudi 24 octobre sa dernière réunion à la Banque centrale européenne (BCE) avant de laisser la place à Christine Lagarde, dont le mandat de directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) a pris fin le 12 septembre. Aucune décision n'est attendue lors de cette réunion du conseil des gouverneurs de l'institut monétaire. L'heure sera au bilan de l'Italien et au passage de témoin.
Jack Allen-Reynolds, économiste chez Capital Economics cité par l’AFP, doute d’une «célébration joyeuse de ses réalisations», car selon lui «l'attention se portera sur les divisions grandissantes au sein du conseil des gouverneurs». D’abord accueilli en héros lorsqu’il prend ses fonctions au plus fort de la crise des dettes souveraines européennes en 2011, l’ancien banquier de Goldman Sachs (de 2002 à 2005), puis gouverneur de la Banque d’Italie (de 2006 à 2011), s’est attiré un feu nourri de critiques en Allemagne au Pays-Bas et même en France en raison de sa politique d’argent facile.
Depuis qu’il a pris ses fonctions, le principal taux de refinancement de la Banque centrale, qui oriente ceux des banques de la zone euro, est tombé à zéro. Quant au Deposit facility qui rémunère leurs dépôts temporaires, il est passé en territoire négatif à -0,10% dès juin 2014 et a encore été abaissé à -0,50% le 18 septembre, au grand dam du secteur bancaire européen et des épargnants.
Mario Draghi est même devenu le «comte Draghila» pour Bild, le premier quotidien allemand par la diffusion, qui le montre affublé de dents de vampires et l’accuse de «sucer des comptes vides». Et certes, sa politique de baisse des taux a réduit à néant la rémunération des comptes d’épargne. Elle est aussi particulièrement mal vécue dans un pays où les deux principaux établissements bancaires, Deutsche Bank et Commerzbank, sont dans une situation inquiétante sinon dramatique, et encore fragilisés par la politique monétaire du président sortant de la BCE.
Face à la menace d'une déflation
Pourtant, Mario Draghi, à défaut de faire l’unanimité, a des arguments à faire valoir : après tout, il n’a fait que servir le mandat de l’institut monétaire européen, placé au cœur du Système européen de banques centrales (SEBC), dont l'objectif principal est de «maintenir la stabilité des prix». Mais alors que l’on redoutait encore l’inflation au moment où ont rédigés les articles du traité de Maatsricht (signé en 1992), fixant les missions du système bancaire européen, c’est aujourd’hui la déflation qui menace.
Malheureusement, la politique monétaire dite d’«assouplissement quantitatif», destinée à l’éviter et à soutenir la croissance, n’a pas atteint son objectif. La BCE a eu beau injecter 2 600 milliards d’euros de liquidités dans l’économie européenne entre mars 2015 et décembre 2018, par le biais de rachats de dettes publiques et privées, l’inflation stagne toujours à un niveau annuel légèrement inférieur à 1% alors que la BCE visait un chiffre proche de 2%. Quant aux prévisions de croissance de la zone euro, plombées par le ralentissement économique allemand, elles ne cessent d’être réévaluées à la baisse (+1,2% en 2019).
Fin août, Christine Lagarde, dans des réponses écrites au Parlement européen dans le cadre de la procédure de validation de sa nomination à la tête de la BCE, a malgré tout annoncé son intention de poursuivre la politique de Mario Draghi en déclarant : «Il est clair que la politique monétaire a besoin de rester très accommodante dans un avenir prévisible.»
Démission allemande à la BCE
Mais elle risque d’accentuer les divisions au sein de la BCE, déjà ébranlée par la démission surprise, le 25 septembre, de l’Allemande Sabine Lautenschläger, un des six membres du conseil des gouverneurs de la BCE. Au moment du passage de témoin, Mario Draghi devrait être longuement interrogé sur son bilan, et il lui sera sûrement reproché d’avoir encouragé les pays du sud de l’Europe à reporter leurs «réformes structurelles», soit des politiques de rigueur visant le désendettement. Mais la position de ses contradicteurs n’est pas des plus confortables non plus.
L’Allemagne est certes rentrée dans les fameux «clous de Bruxelles» avec une dette publique contenue à 60% de son produit intérieur brut (PIB), mais cela ne l’a pas empêché de connaître en 2019 deux trimestres de recul de son activité économique et une perspective faiblarde de 0,5% de croissance sur l’ensemble de l’année.
A contrario, l’Espagne dont l'endettement culmine à 97% de son PIB a révisé à la hausse sa prévision de croissance de 2,2 à 2,4% pour 2019. Le Portugal qui supporte lui un endettement équivalent à 120% de son PIB anticipe +1,8% et la France avec une dette d'environ 98% du PIB vise 1,3% de croissance en 2019. Les vertueux Allemands vont-ils réussir à démontrer que malgré tout, ce sont eux qui ont raison ? Réponse à partir de novembre.
Jean-François Guélain