Economie

UE/Mercosur : les agriculteurs européens vent debout contre l'accord commercial

Nombre d'agriculteurs fustigent l'accord commercial conclu le 28 juin au soir à Bruxelles entre l'UE et le Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay), qui les place selon eux face à une concurrence déloyale.

Dès l'annonce de l'accord entre le Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay) et l'Union européenne, conclu le 28 juin dans la soirée, les tweets et autres communiqués courroucés ont fusé, contrastant avec les larges sourires des négociateurs sud-américains et de la Commission européenne, satisfaits de ce compromis jugé «historique» après 20 ans de discussions.

Dans ce contexte tendu, l'approbation du compromis par les 28 Etats membres, puis le Parlement européen, désormais nécessaire pour que le texte entre en vigueur, semble plus incertaine que jamais.

La Copa Cogeca, principal syndicat agricole de l'UE, a fustigé «une politique commerciale à deux poids et deux mesures», qui élargit «le fossé entre ce qui est demandé aux agriculteurs européens et ce qui est toléré des producteurs du Mercosur», dont les normes sanitaires et environnementales ne sont pas les mêmes qu'en Europe.

En Allemagne, le patron du Deutscher Bauernverband, premier syndicat du pays, a taclé un «accord totalement déséquilibré» qui menace de mettre en péril «beaucoup d'exploitations agricoles familiales».

Même son de cloche du côté du premier syndicat français, la FNSEA, dont la présidente, Christiane Lambert, a estimé sur Twitter que cet accord «inacceptable [allait] exposer les agriculteurs européens à une concurrence déloyale et les consommateurs à une tromperie totale».

Bientôt du poulet et du bœuf sud-américain en France ?

Ces réactions illustrent les profondes inquiétudes autour de l'accord agricole, amené, si les Etats membres l'approuvent, à devenir l'un des plus importants du monde. Il concernerait en effet environ 770 millions de personnes, pour un quart du PIB mondial (18 000 milliards d'euros).

D'autant plus que les négociations ont été récemment attaquées dans une lettre ouverte par 340 ONG européennes et sud-américaines, dont Greenpeace et Les Amis de la Terre, sur deux autres fronts : l'environnement et les droits de l'Homme, mis à mal selon elles par la politique du président brésilien de droite radicale, Jair Bolsonaro.

Ce dernier s'est félicité sur Twitter du «potentiel énorme» du futur partenariat, qui «donnera beaucoup de joie [à son] peuple».

Pour parvenir à un compromis, le Mercosur a accepté d'ouvrir grand ses portes, ainsi que ses marchés publics, à l'industrie européenne, tout particulièrement aux voitures, mais aussi aux produits chimiques et pharmaceutiques en provenance de l'UE.

L'UE consent cependant à de lourdes contreparties dans le secteur agricole : elle facilitera l'accès à son marché à quatre pays avides d'écouler sucre, éthanol, volailles ou bœuf.

Alerte sur la sécurité à table

Le Mercosur va notamment pouvoir exporter vers l'Europe quelque 99 000 tonnes de viande bovine au taux préférentiel d'imposition de 7,5%, fragilisant un peu plus les éleveurs européens, lourdement dépendants des subventions de Bruxelles et qui craignent la concurrence des «usines à viande» latino-américaines.

D'autant que, selon eux, les deux continents ne sont pas sur un pied d'égalité : antibiotiques utilisés comme hormones de croissance d'un côté, avec déforestation en prime, contre toujours plus de normes environnementales côté européen.

«Alerte sur la sécurité à table», a d'ailleurs réagi la Coldiretti, principale organisation d'agriculteurs en Italie, évoquant «de graves risques alimentaires» dans certains pays du Mercosur.

Un «bon» accord, pour Emmanuel Macron, des macronistes désapprouvent

Concédant que le texte engendre «certains défis pour les agriculteurs européens», le commissaire à l'Agriculture Phil Hogan leur a promis «une aide financière» jusqu'à un milliard d'euros «en cas de perturbation du marché».

Son compatriote Michael Creed, ministre irlandais de l'Agriculture, s'est lui dit «très déçu» de l'«important contingent tarifaire» sur le bœuf, à un moment où le secteur «est confronté à une grande incertitude».

L'Irlande avait exprimé dans une récente lettre commune avec la Belgique, la Pologne et la France sa «profonde préoccupation» à l'égard des conséquences de l'accord sur l'agriculture.

En marge du sommet du G20 au Japon, le président français Emmanuel Macron a cependant considéré qu'il s'agissait d'un «bon» accord, tout en promettant que son pays resterait «vigilant».

Le Français s'est dit satisfait que le texte comporte une référence explicite à l'accord de Paris sur le climat et garantisse selon lui le «respect» des normes environnementales et sanitaires de l'UE.

Plusieurs eurodéputés, à gauche, à droite et chez les écologistes – mais aussi dans le camp du président Emmanuel Macron, à l'instar de Pascal Durand, qui a évoqué un «jour funeste» – ont apporté le 29 juin leur soutien aux agriculteurs.

Ancien agriculteur, l'eurodéputé LREM, fraîchement élu, Jérémy Décerle a déjà fait savoir qu'il n'approuverait pas l'accord au Parlement européen.

Le député de Debout La France Nicolas Dupont-Aignan a déploré un accord qui verra selon lui «l'environnement (déforestation en Amazonie/gaz à effet de serre) et nos agriculteurs (concurrence déloyale de produits de mauvaise qualité)» être «les premières victimes».

 

Le sénateur Les Républicains de Vendée, Bruno Retailleau s'étonne d'un tel accord : «Comment peut-on importer des produits agricoles traités avec des molécules interdites en France ?» Pour lui, le texte va de fait provoquer une «concurrence déloyale pour nos producteurs [français]».

Brocardant une «mondialisation aveugle», La France Insoumise (LFI) a appelé à «une large mobilisation citoyenne» le 2 juillet à 18 heures devant le Parlement européen à Strasbourg, réuni en session plénière.

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