Economie

Après la guerre commerciale, la guerre des monnaies : Trump s’en prend à Draghi et à l’euro faible

Le président des Etats-Unis a de nouveau mis en cause la politique de la Banque centrale européenne qu’il accuse de manipuler l’euro pour obtenir un avantage concurrentiel contre les Etats-Unis. Mais il vise en réalité le gouverneur de la Fed.

«Mario Draghi vient d'annoncer que d'autres mesures de relance pourraient être mises en place, ce qui a immédiatement fait chuter l'euro contre le dollar, leur [les Européens] permettant de concurrencer plus facilement les Etats-Unis. Cela fait des années qu'ils font ça impunément comme la Chine et d'autres», twittait le 18 juin le président des Etats-Unis.

Un peu plus tard, Donald Trump faisait de nouveau les honneurs de son compte personnel«@realDonaldTrump» au président de la Banque centrale européenne (BCE) en pestant : «Le DAX allemand en hausse à cause des remarques de stimulation de Mario Draghi. Très injuste pour les Etats-Unis !»

Donald Trump réagissait au discours prononcé le jour même, par le président de la BCE au Forum mondial organisé par l'institution, à Sintra, près de Lisbonne au Portugal. Et en effet, Mario Draghi venait d’annoncer qu’«en l’absence d’une amélioration de nature à menacer l’objectif d’un retour durable au taux d’inflation ciblé [un peu moins de 2%], de nouvelles mesures de relance ser[aie]nt nécessaires».

Le président de la BCE précisait ensuite que des abaissements des taux directeurs «faisaient toujours partie des outils» et que le programme de rachat d’actif «conservait toujours une marge de manœuvre». Sur ce dernier point, il faisait allusion au bazooka de la BCE : la politique dite d’«assouplissement quantitatif» qui a consisté à injecter près de 2 600 milliards d’euros de monnaie scripturale dans l’économie de la zone euro entre 2015 et fin 2018.

A 1,2 dollar, l'euro au plus bas face au billet vert

Ces annonces ont immédiatement provoqué l’euphorie des places boursières européennes, une chute vers un plus bas historique de l’euro à 1,12 dollar, et un effondrement du rendement des bonds obligataires à 10 ans des principales économies de la zone. Autrement dit, il est devenu instantanément moins cher pour les Etats membres de se financer sur les marchés de capitaux, un mouvement dont même les dettes italiennes et grecques ont profité. 

Pour la forme, Mario Draghi dont le mandat à la présidence de la BCE expire le 1er novembre a répondu aux accusations de Trump de manipulations de l’euro en déclarant aux journalistes depuis Sintra : «Notre mandat est la stabilité des prix [...] et nous n'avons pas d'objectif de taux de change.»

Jean-Claude Juncker, le président sortant de la commission européenne, dont le mandat se termine également début septembre a pour sa part estimé que c’était «tellement injuste d'attaquer les Banques centrales, quand il s'agit de leur indépendance».

Mais quand Donald Trump fait semblant de croire, comme il le tweete sur son compte personnel, que les responsables de la BCE considèrent la baisse des taux «comme principal outil pour tout nouvelle mesure de relance», il délivre en réalité un message à l’attention de la FED, la Réserve fédérale des Etats-Unis sur laquelle il exerce une pression sans précédent pour qu’elle baisse ses taux.

Ils sont actuellement proches de 2,5% contre 0% pour le MRO (Main refinancing operations), principal taux directeur de la BCE. Ce dernier, qui assure la liquidité du refinancement bancaire, est inchangé depuis mars 2016 et il très peu vraisemblable que la BCE ne le fasse passer en territoire négatif. Des sources proches du dossier nous ont expliqué que le seul taux susceptible de baisser était celui de la facilité de dépôt, autrement dit de la rémunération des dépôts bancaires auprès de la BCE, qui est lui déjà négatif (-0,40%) et ne constitue pas un outil de relance. 

Trump déjà en campagne pour sa réélection en 2020

En revanche, aux Etats-Unis les principaux taux directeurs de la FED qui étaient proches de 0% depuis la crise des subprimes sont remontés à partir de 2015, avec une accélération au cours de l’année 2018 pour atteindre les 2,5% actuels. Jusqu’ici la Fed les a justifiés par des craintes de surchauffe de l’économie des Etats-Unis. Mais la croissance américaine de 0,8% au premier trimestre 2019, attendue à 2,3% – après 2,5% il y a quelques semaines – pour l’ensemble de l’année, se fait au prix d’un endettement colossal de l’Etat (le ratio dette/PIB des Etats-Unis est proche de celui de l’Italie), et est fragile comme en témoigne le taux faible de l’inflation également inférieur à 2% aux Etats-Unis, malgré des salaires ayant augmenté dans la même proportion et un taux de chômage historiquement bas de 3,5% (qui devraient logiquement stimuler l'évolution des prix à la consommation).

De plus, la guerre commerciale que Donald Trump a déclenchée est lourde de menaces pour la croissance, tant mondiale qu’aux Etats-Unis. En outre, le renchérissement du dollar par rapport aux principales devises, en particulier l’euro et le yuan chinois, rend effectivement les exportations américaines moins compétitives. Une menace pour la partie de l'électorat de Trump située dans les Etats agricoles de la Corn Belt (ceinture de maïs).

Pour Olivier Delamarche, membre de l’association des Economistes atterrés, les attaques tous azimuts de Donald Trump, ces derniers jours, contre le yuan et l’euro, ou contre le gouverneur de la Fed, relèvent surtout de l’opération de communication et visent à désigner des coupables pour les performances, en réalité en demi-teinte, de l’économie américaine.

Aux Etats-Unis, les médias américains viennent d’ailleurs de révéler que le président des Etats-Unis avait demandé en février à ses conseillers d’étudier les possibilités de révoquer le gouverneur de la Fed, Jérôme Powell, avant la fin de son mandat en 2021.

Le 18 juin, lors d’une conférence de presse, ce dernier a semblé se céder à la pression ou se ranger aux arguments du président des Etats-Unis déclarant que «les incertitudes entourant les perspectives [s’étaient] clairement accrues» et qu’il y avait donc «plus d’arguments en faveur d'une politique monétaire un peu plus accommodante». Mais dès le lendemain, à l’issue du comité des gouverneurs, la Fed annonçait que les baisses de taux n’entreraient pas en vigueur avant 2020.

Jean-François Guélain