Des promesses de dons de près de 500 millions d'euros ont déjà été faites pour rebâtir le monument le plus visité d'Europe. Plusieurs grandes fortunes ont, dès la nuit qui a suivi l’incendie, annoncé leur intention de contribuer au coût des travaux. A hauteur de 100 millions d'euros pour la famille la famille Pinault et, quelques heures plus tard, de 200 millions pour le groupe LVMH et la famille Arnault, première fortune de France selon le magazine économique Forbes.
Depuis, François-Henri Pinault, président de la holding familiale et PDG du groupe de luxe Kering a fait savoir qu'il ne ferait pas valoir l'avantage fiscal auquel pouvait prétendre son don de 100 millions d'euros, pour le chantier de réhabilitation de Notre-Dame de Paris.
Dans le communiqué de presse annonçant cette décision il explique : «La donation pour Notre-Dame de Paris ne fera l'objet d'aucune déduction fiscale. La famille Pinault considère en effet qu'il n'est pas question d'en faire porter la charge aux contribuables français.»
L'Oreal, la famille Bétencourt-Meyers (troisième plus grande fortune de France) et la Fondation Bettencourt Schueller ont pour leur part annoncé un don de 200 millions d'euros.
L'homme d'affaires Marc Ladreit de Lacharrière (Fimalac), souhaite lui participer à hauteur de 10 millions d'euros à «la restauration de la flèche». La famille Bouygues a également promis une enveloppe de 10 millions d'euros. Dès lundi soir, le président de la République Emmanuel Macron a annoncé qu'une souscription nationale allait être lancée, pour la reconstruction.
Alors que les pompiers étaient encore à pied d'œuvre, entreprises et anonymes ont commencé à faire des dons, allant jusqu'à provoquer des encombrements sur le site de la Fondation du patrimoine. C'est via cet organisme privé (et les sites don.fondation-patrimoine.org et fondation-patrimoine.org) que s'organise la souscription nationale, qui connait d'ores et déjà un succès historique. Pour faire face à la demande, un autre site (rebatirnotredamedeparis.fr/) a depuis été mis en place, sous l'autorité du Centre des monuments nationaux.
A 11h30, le 16 avril, plus de 11,5 millions d’euros avaient déjà été collectés, selon les estimations de la Fondation du patrimoine, pour un objectif de 100 millions. Parmi les donateurs, figurent de nombreuses associations, fondations et entreprises. Total a annoncé à la mi-journée un don spécial de 100 millions d'euros. Et les sommes devraient continuer à se multiplier grâce à l'appel à la mobilisation lancé par le patronat aux entrepreneurs.
De son côté, le maire de Paris Anne Hidalgo a annoncé à l'AFP une contribution à hauteur de 50 millions d'euros de la Ville. «Je vais proposer au président que nous organisions tous ensemble, dans les prochaines semaines, une grande conférence internationale des donateurs [...] afin de lever les fonds nécessaires à la restauration», a annoncé la maire de la capitale. La région Ile-de-France va de son côté débloquer 10 millions d'euros d'«aide d'urgence pour aider l'archevêché à faire les premiers travaux».
Vers un «dispositif [fiscal] spécifique» pour Notre-Dame ?
Faits par des entreprises, les dons de mécénat ouvrent des droits à d’importantes réductions fiscales, ce qu’a rappelé le ministre de la culture Franck Riester en déclarant à l’AFP : «Aujourd'hui dans le cadre de la loi mécénat il y a des réductions d'impôts de 60% pour les entreprises et de 66% pour les particuliers.» Il a ajouté que ses services aller aussi étudier avec le gouvernement quel «dispositif spécifique» mettre en œuvre.
Cette réduction fiscale, appliquée dans la limite de 5‰ (5 pour mille) du chiffre d'affaires annuel, peut atteindre 90% lorsqu'elle concerne l'achat de biens culturels considérés comme des «trésors nationaux» ou présentant «un intérêt majeur pour le patrimoine national» (et que l’on souhaite éviter de voir partir à l’étranger lors de vente aux enchères). Dans son état actuel la loi ne permet pas d’appliquer ce taux à des travaux de rénovation, cependant son auteur, l’ancien ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon, par ailleurs conseiller de François Pinault dans ses activités artistiques et culturelles, cité par l’AFP a pourtant appelé l'Etat à décréter Notre-Dame Trésor national, «de façon à ce que les dons faits pour sa reconstruction bénéficient de la réduction d'impôt de 90%».
Selon une «source proche du dossier» citée par l’AFP, des propositions ont été faites au président de la République en ce sens, mais «cela impliquerait de changer la loi», a assuré cette source, en mettant en garde contre un dispositif qui reviendrait à favoriser les entreprises au détriment des finances publiques.
Jusqu'à 90% d'abattement fiscal pour un «Trésor national»
En effet, un taux de défiscalisation de 90% signifie que l'entreprise ne contribue finalement qu'à hauteur de 10% de son geste et que le reste est pris en charge par l’Etat à 90% sous forme de manque à gagner de recettes fiscales. Le même problème se pose avec un abattement de 60% ce que font remarquer plusieurs voix dans l’opposition.
Les milliardaires doivent payer des impôts (dont l’ISF...), pas donner quand bon leur semble, en bénéficiant au passage d’énormes réductions d’impôt
Cité dans un article du Monde, le député LR Gilles Carrez, membre de la commission des finances, a par exemple déclaré le 16 avril, alors que l’on venait d’apprendre les promesses de dons à hauteur de 300 millions d’euros : «C’est la collectivité publique qui va prendre l’essentiel [des frais de reconstruction] en charge ! Sur 300 millions d’euros, 180 millions seront financés par l’Etat, au titre du budget 2020.»
Pour sa part l’économiste Julia Cagé, qui a participé à la campagne de Benoît Hamon en 2017 tweetait : «Les milliardaires doivent payer des impôts (dont l’ISF...), pas donner quand bon leur semble, en bénéficiant au passage d’énormes réductions d’impôt.»
Cette préoccupation s’exprime jusque dans les rangs de la majorité, et le quotidien du soir cite également Joël Giraud, le rapporteur (LREM) du budget qui déclare : «Si on veut plus de justice fiscale, le mécénat n’est pas la meilleure des choses.»
Dans un rapport publié à l'automne, la Cour des comptes avait appelé à «mieux encadrer» le mécénat d'entreprise, en raison de son coût jugé excessif pour les finances publiques. D'après les magistrats financiers, ce dernier a été multiplié par dix en 15 ans – soit depuis la rédaction de la loi Aillagon – pour atteindre près de 900 millions d'euros par an.
Au moment où le gouvernement s’apprête à ponctionner un milliard d’euros par an dans les caisses des organismes de HLM au nom de la rigueur budgétaire, va-t-il juger légitime d’accorder des avantages fiscaux à des mécènes qui ne devraient pas être difficiles, sans cela, à trouver en France mais aussi à l’étranger ?