Le principal article de la loi sur l’économie circulaire risque d’être privé de débat parlementaire. C’est ce qu’affirme la revue professionnelle Déchets-infos, qui a pu se procurer, en janvier, une copie de ce texte encore en préparation.
Le concept d’économie circulaire mentionné dans le nom du projet désigne un cycle industriel où les produits en fin de vie et les déchets sont réutilisés dans le circuit de fabrication. L’économie circulaire s’oppose à l’économie dite «linéaire» qui consiste à fabriquer, consommer, puis jeter, contribuant ainsi à l’épuisement des ressources.
Aussi cette loi est-elle attendue comme un test et un élément important de la politique du gouvernement en matière de développement durable. Toutefois, le projet n’a pas été présenté aux membres du Conseil national de la transition écologique (CNTE), réunis le 17 janvier dernier par Brune Poirson, la secrétaire d’Etat à l’Ecologie.
Pourtant, selon les termes du ministère de la Transition écologique et solidaire, être «consulté sur les projets de loi concernant, à titre principal, l’environnement ou l’énergie et sur les stratégies nationales relatives au développement durable» est la raison d’être de cette commission administrative qui regroupe une cinquantaine d’élus, professionnels, membres d’associations et représentants de la société civile.
Selon Déchets-infos, le texte est composé de six articles (contre près de 200 pour Pacte, la loi sur le Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises). Les cinq premiers, qui tiendraient en trois petites pages, contiennent des dispositions qui, selon la revue, «sans être mineures, ne sont cependant pas capitales ni particulièrement sujettes à polémique». Appelés à être présentés aux parlementaires, ces cinq articles concernent par exemple la «réparabilité» des équipements électriques et électroniques et l'information du consommateur en réponse à l’obsolescence programmée.
Le sixième article, lui, autorise le gouvernement à légiférer par ordonnance, c’est-à-dire sans débat devant le Parlement. Or, pour Déchets-infos, «il est d'une importance capitale puisqu'il couvre la réforme des filières à Responsabilité élargie des producteurs (REP) et la transposition des directives européennes dans la loi française.»
Réforme des filières du recyclage par ordonnance
En France, le principe de Responsabilité élargie des producteurs (REP) existe dans la loi depuis 1975. Mais la première filière réglementée a été mise en place pour la collecte des emballages ménagers en 1992. Des dispositifs similaires ont été ensuite instaurés pour les piles et accumulateurs, les papiers, les équipements électriques et électroniques (EEE), etc. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) en recense aujourd’hui une vingtaine, aux niveaux européen et français, ainsi que certaines filières dites «volontaires».
Les dernières filières réglementées sont celles de l’ameublement, des produits chimiques et des déchets d’activités de soins à risque infectieux (2012), des bouteilles de gaz (2015) et des bateaux de plaisance et de sport (2016).
L’AFP, qui a également pu prendre connaissance du texte révélé par Déchets-infos, confirme qu’il prévoit que l'essentiel des mesures, longuement énumérées dans l'exposé des motifs, soient adoptées «par voie d'ordonnance». L’agence rapporte aussi «selon des sources concordantes» que la secrétaire d'Etat à l’écologie, Brune Poirson, a justifié cette procédure législative la semaine dernière, devant le Conseil national de la transition écologique (CNTE) en expliquant qu’elle visait à éviter que les «lobbies» ne tentent d'influencer les débats parlementaires.
Mais cette méthode suscite l'inquiétude des acteurs concernés. Nicolas Garnier, délégué général de l'association Amorce, qui regroupe des collectivités et des entreprises engagées dans la transition écologique, fait part de sa «perplexité» devant des mesures qui seront en grande partie prises «sans débat parlementaire».
Réemployer, réutiliser ou recycler leurs invendus [mais] sous réserve que cela soit techniquement possible
«On a cinq articles sur le volet consommation pour dire "on a fait un pas vers les associations", mais pour les choses sérieuses, cela va être par ordonnance [...] sans aucune visibilité sur leur contenu», déplore aussi Emile Meunier, avocat spécialisé en droit de l'environnement cité par l’AFP.
Du côté des industriels du recyclage, on se dit «dans l'expectative». Et Jean-Philippe Carpentier, président de la Federec qui regroupe les entreprises de recyclage, a déclaré à l’agence : «Les ordonnances ne nous rassurent pas sur la transparence.»
Valérie Fayard, directrice générale adjointe d’Emmaus, se félicite, elle, d’avoir obtenu gain de cause. Son association, en effet, milite pour une interdiction aux entreprises de la filière textile de jeter ou éliminer les invendus. Mais elle remarque que, dans le texte du projet, cette disposition est conditionnée.
La loi obligerait en effet les producteurs, importateurs et distributeurs du secteur des produits textiles à «réemployer, réutiliser ou recycler leurs invendus [mais] sous réserve que cela soit techniquement possible». Une réserve qui fait douter Valérie Fayard, selon laquelle «c’est une notion floue qui peut devenir une faille».