Avec ses défilés de limousines de luxe, de jets privés et d’agents de sécurité, Davos est souvent présenté ou perçu comme une réunion à la fois ultra-sélective et vigoureusement ostentatoire d’hyper-riches venus jouer les VIP aux frais de leurs contribuables ou actionnaires.
Mais Klaus Schwab, économiste allemand né en 1938, fondateur et président du Forum économique mondial, le World Economic Forum ou WEF, souhaite depuis plusieurs année en faire une enceinte de concertation pour façonner la quatrième révolution industrielle, déjà en train de modifier nos modes de vie, de travail et de consommation.
La quatrième révolution industrielle est d’ailleurs un thème cher au créateur de Davos, qui lui a déjà consacré deux ouvrages. Dans le premier, justement intitulé La quatrième révolution industrielle, (Die vierte industrielle Revolution, Pantheon, Munich, 2016) l’économiste allemand commence par délimiter les trois précédentes.
La première s’étire de 1760 à 1840, avec l’invention de la machine à vapeur qui inaugure la production mécanisée et les chemins de fer qui la caractérisent. La deuxième démarre à la fin du XIXe siècle avec la multiplication des usages de l’électricité et la production de masse sur les chaînes de montage.
La troisième commence dans les années 1960 avec la naissance de l’informatique. Le prolongement de la révolution numérique et sa rencontre avec d’autres technologies donnent, selon l’auteur, naissance à la quatrième révolution dans laquelle se rencontrent les mondes physique, numérique et biologique, dont les développements touchent toutes les disciplines, économie, industrie et gouvernement, au point de remettre en question jusqu’à l’idée de l’être humain.
Intelligence artificielle, imprimantes 3D et cobotique
Klaus Schwab, n’invente pas, mais décrit un phénomène aujourd’hui installé dans les esprits. La vénérable revue L’Usine nouvelle, née au cours de la seconde révolution industrielle, comprend d’ailleurs, depuis plusieurs années, une rubrique intitulée «usine 4.0». Elle accueille l’actualité des secteurs de l’intelligence artificielle, de l’impression 3D, de la réalité virtuelle, de la blockchain, ou encore de la cobotique (néologisme d’origine anglaise désignant l’interaction entre un opérateur humain et un système robotique).
Il serait osé de comparer le fondateur de Davos et celui du mouvement Génération-s. Mais en imaginant de taxer les robots qui remplaceront les ouvriers dans les usines, Benoît Hamon n’était pas si éloigné des préoccupations de Klaus Schwab ; avec des réponses différentes cependant.
Sous sa forme la plus noire et la plus déshumanisée, la Quatrième révolution industrielle a le potentiel de "robotiser" l’humanité et de nous déposséder de notre cœur et de notre âme
Ainsi, dans une tribune publiée dès 2015 sur le site de la revue américaine Foreign Affairs, Klaus Schwab exprimait l'une de ses inquiétudes à propos des évolutions de l’organisation du travail induite par cette quatrième révolution industrielle : «L’automatisation se substituant à la main d'œuvre dans l'ensemble de l'économie, le remplacement pur et simple des travailleurs par des machines pourrait accentuer l'écart entre le rendement du capital et celui du travail.»
Autrement dit une augmentation en flèche des inégalités entre les détenteurs du capital et ceux qui ne peuvent offrir que leur force de travail. L’hôte des élites politiques et économiques mondiales va jusqu'à prophétiser : «Sous sa forme la plus noire et la plus déshumanisée, la Quatrième révolution industrielle a le potentiel de "robotiser" l’humanité et de nous déposséder de notre cœur et de notre âme.»
Il conclut toutefois que, sous certaines conditions, cette révolution pouvait aussi «élever l’humanité vers une nouvelle conscience morale et collective fondée sur le sentiment partagé d’une destinée commune».
Jean-François Guélain
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