Economie

Droits de l’Homme : pourquoi la France veut-elle la peau du Russe Alexandre Vinnik ?

La France a obtenu d’une cour grecque l’extradition d’un citoyen russe accusé de blanchiment de cybercriminalité, que réclament surtout les Etats-Unis. En France, c’est une incarcération sans procès ni droit à la défense qui l’attend.

«La cour rejette l’appel des avocats», ont déclaré ce 19 novembre, à Athènes, les juges de la Cour suprême, confirmant leur décision, rendue le 4 septembre, d’extrader vers la France le citoyen russe Alexandre Vinnik.

A l’annonce du verdict, ce dernier a simplement déclaré qu’il poursuivrait sa grève de la faim et expliqué : «Je jeûne depuis 24 jours. Hier, la dernière fois qu’on m’a pesé, on a constaté que j’avais perdu huit kilos.» Il proteste contre une détention qu’il juge arbitraire et qui dure depuis près d’un an et demi alors qu’il ne fait l’objet d’aucune condamnation et ne peut accéder aux dossiers des enquêtes qui le visent.

Le ministère russe des Affaires étrangères a quant à lui protesté dans un communiqué en déclarant : «Nous considérons que ce verdict injuste viole les principes fondamentaux du droit international», et rappelé que Moscou avait demandé à Athènes l'extradition vers la Russie d’Alexandre Vinnik. «En vertu des normes judiciaires habituellement observées, la requête russe aurait dû être prioritaire, puisque M. Vinnik est un citoyen russe», a ajouté le ministère.

La défense adressera une requête au ministère grec de la Justice, de la Transparence et des Droits de l'Homme, ainsi qu'une déclaration au chef de la prison pour surseoir à l'application de la décision de la Cour suprême de Grèce d'extrader un citoyen Russe vers la France.

Réclamé par les Etats-Unis, la Russie et la France

Alexandre Vinnik a été arrêté le 25 juillet 2017 en Grèce sur la péninsule de Chalcidique à la demande des Etats-Unis alors qu’il se trouvait en vacances avec son épouse et son fils. Il est accusé par les autorités judiciaires étasuniennes d’être à la tête de la plateforme d’échange de bitcoins et autres cryptomonnaies BTC-e, laquelle aurait, selon l’accusation, procédé à des opérations de blanchiment de produit d’activités criminelles pour un montant équivalent à 4 milliards de dollars (environ 3,4 milliards d'euros).

Alexandre Vinnik a toujours nié être le directeur de ce site, qui a repris du service sous un autre nom depuis son incarcération, et ne reconnaît avoir travaillé pour BTC-e que comme simple informaticien. Aux Etats-Unis, il risque 55 ans de prison.

Vers le 15 août 2017, la Russie a, à son tour, demandé l’extradition de son ressortissant impliqué dans une affaire mineure d’escroquerie pour un montant d’environ 9 000 euros. Tout en niant les accusations, Alexandre Vinnik a toutefois accepté d’être remis aux autorités judiciaires russes.

Mais, depuis juin 2018, la France le réclame à son tour sur la base d’une affaire ouverte 15 jours plus tôt. Dans le mandat d’arrêt européen émis par le Tribunal de grande instance de Paris, les défenseurs d’Alexandre Vinnik relèvent certaines incohérences. Ainsi, les faits qui lui sont reprochés par la France se seraient déroulés entre le 1er janvier 2016 et le 14 juin 2018, soit 11 mois après son incarcération à Thessalonique pour la fin de cette période.

Alexandre Vinnik, dont l’ordinateur et le téléphone portable ont été saisis dès son arrestation et qui ne s’est jamais rendu en France, nie catégoriquement toute activité criminelle en France. Cité par l'agence Tass, il suppose qu’on lui a simplement mis sur le dos divers faits de cybercriminalité pour les besoins des Etats-Unis.  

Le 1er octobre, son principal avocat, le Russe Timofeï Moussatov, allait jusqu’à affirmer que les accusations présentées par la France étaient forgées de toutes pièces. Contacté par notre rédaction, il estime que le dossier français se base uniquement sur des éléments fournis par les autorités judiciaires américaines et a essentiellement pour but de leur livrer Alexandre Vinnik.

Le mandat européen émis par le parquet du Tribunal de grande instance de Paris fait ainsi allusion, dans l’énumération des infractions, à des faits commis «à Paris, à Melun, […] en France, aux Etats-Unis, en tout cas sur le territoire national… ».

Aller simple pour la case prison sans procès équitable

En France, Ariane Zimra, l’avocate d’Alexandre Vinnik, dit faire face à une situation «inouïe». Malgré ses demandes auprès des autorités judiciaires françaises, elle n’a pu avoir accès au dossier et se trouve dans l’impossibilité d’assurer une défense effective. Elle explique par exemple qu’Alexandre Vinnik n’est pas mis en examen et que son statut dans l’affaire judiciaire n’est pas précisé clairement.

Ainsi, il est tout simplement menacé d’une mesure privative de liberté, sans même savoir s’il est suspect, témoin ou accusé et sans même s’être vu notifier de quelconques droits à la défense.

«C’est particulièrement violent», commente Ariane Zimra, qui explique aussi que le mandat d’arrêt européen étant un acte judiciaire susceptible de porter atteinte aux droits de la personne, il devrait normalement faire l’objet d’un recours au regard de plusieurs textes régissant la protection des droits de l’homme.

La Cour de justice de l'Union européenne a par exemple rendu un arrêt le 30 mai 2013 selon lequel «il y a lieu de relever que, tout comme dans les procédures d’extradition, dans la procédure de remise instituée par la décision-cadre, le droit à un recours effectif, énoncé aux articles 13 de la CEDH et 47 de la Charte [...] revêt une importance particulière». 

La Convention européenne des droits de l’Homme dispose, elle, dans son article 6, que «toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie», et garantit le droit à un «procès équitable». Mais dans le cas de Vinnik, aucun procès n’est évoqué, seul son enfermement étant réclamé par la justice française.

A Athènes, Zoé Konstantopoulou, ex-plus jeûne présidente du Parlement grec issue des rangs du parti de gauche Syriza, s’est saisie de l’affaire en tant qu’avocate et plaide la violation pure et simple des droits de l’homme.

Au ministère de la Justice on «ne dispose pas d'éléments sur cette affaire»

Nous avons tenté de contacter à Paris Anne Givaudand, vice-procureur, qui représente le procureur de la République pour cette affaire afin de confronter les remarques des avocats d’Alexandre Vinnik, notamment sur l’absence de recours à la décision d’incarcération sans autre forme de procès, mais n’avons pas obtenu de réponse. 


Quant au ministère de la Justice, il semble tout ignorer de cette affaire qui implique aussi les Etats-Unis, la Russie et la Grèce, et pour lequel le Tribunal de grande instance de Paris a émis un mandat d'arrêt européen. Du moins si l’on s'en tient à son porte-parole, Youssef Badr, qui a bien voulu nous répondre qu'il ne «dispos[ait] pas d'éléments sur cette affaire».