Dans son jugement rendu le 5 octobre, le tribunal de Thessalonique (Grèce) a ouvert la voie à l'extradition d’Alexandre Vinnik vers les Etats-Unis. Ce citoyen russe, âgé de 37 ou 38 ans, selon les sources, a été arrêté, à la demande d’un tribunal californien, le 25 juillet dernier sur une plage de la péninsule de Chalcidique (nord de la Grèce) où il passait ses vacances avec son épouse et son fils.
Il est accusé d’être à la tête de la plateforme d’échange de bitcoins et autres cryptomonnaies BTC-e, laquelle aurait, selon l’accusation, procédé à des opérations de blanchiment de produit d’activités criminelles pour un montant équivalent à 4 milliards de dollars (environ 3,4 milliards d'euros).
La «propriété et gestion d’entreprise de services financiers sans licence», «le blanchiment d’argent» et «la participation à des transactions financières illégales» figurent parmi les principaux chefs d’inculpation. Additionnés, ils pourraient valoir à Alexandre Vinnik, qui nie en bloc, jusqu’à 55 ans de prison. Cela peut sembler beaucoup, même si c’est trois fois moins que ce à quoi a été condamné Bernard Madoff.
On ignore sur la base de quel mandat ont agi les policiers grecs, et cela semble être sur demande spéciale des autorités américaines. En tout cas, nous n'avons trouvé aucune trace d'un avis de recherche Interpol à l'encontre d'Alexandre Vinnik sur le site de l'Organisation internationale de police criminelle. Cela pousse à croire que l'informaticien russe aurait été arrêté, sans même savoir qu'il était recherché par la justice des Etats-Unis.
C'est peut-être ce qui a poussé Timofeï Moussatov, son avocat, cité par RT.com à décrire une pression exercée par les Etats-Unis pour extrader son client comme «non seulement une mesure politique, mais aussi une opération militaire», avant d’ajouter :
En réalité, ils [les USA] ont pris un de nos citoyens en otage, ce qui est un précédent pour l’Europe. Un tel cas ne s’était jamais produit auparavant.
L'accusé risque jusqu'à 55 ans de prison
Selon l’acte d’accusation rendu public le 26 juillet, lendemain de l’arrestation d’Alexandre Vinnik, la plateforme BTC-e dont il serait le principal actionnaire et dirigeant (ce qu'il nie) aurait notamment contribué au blanchiment du piratage de la plateforme d’échange de cryptomonnaie basée au Japon Mtgox. Sa faillite, en 2014 avait abouti à la disparition de près de 650 000 bitcoins en trois ans, période au cours de laquelle le cours de la cyber monnaie était passé de moins d’un euro à plus de 400 (il en vaut actuellement près de 5 000).
L’acte d’accusation affirme également que BTC-e, servait de banque discrète à la cyber-criminalité mondiale, pour blanchir le fruit d’attaques informatiques par des rançongiciels, de vols d’identité bancaire et de trafics de drogue.
Cinq agences fédérales traquaient Alexandre Vinnik
L’enquête qui a abouti à la mise en accusation d’Alexandre Vinnik a été menée par cinq administrations fédérales : l’IRS (impôts), le Département de la sécurité intérieure, le FBI, le U.S. Secret Service (chargé à la fois la protection du président des Etats-Unis et de la lutte contre la fausse monnaie) et la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) qui veille à la garantie des dépôts bancaires aux Etats-Unis.
Dans une dépêche publiée le 26 juillet 2017 (le lendemain de l’arrestation d’Alexandre Vinnik) l’agence Reuters affirme : «L’enquête coïncide avec une surveillance accrue des hackers russes depuis que des responsables des service de renseignements américains ont établi que la Russie avait interféré dans l’élection présidentielle américaine en 2016 par des méthode de cyber-guerre pour favoriser Donald Trump ce que nie Moscou.»
Le même jour, le FinCEN, réseau américain de lutte contre la criminalité financière (comparable au Tracfin français) annonçe sur son site qu’il a dressé une amende de 110 millions de dollars (94 millions d'euros) à la société BTC-e «également connue comme Canton Business Corporation» et à Alexandre Vinnik, personnellement, une autre de 12 millions de dollars «pour violation intentionnelle des lois américaines contre le blanchiment d’argent [anti-money laundering ou AML]».
Accessoirement le serveur de BTC-e sur lequel étaient hébergés les algorithmes (ou blockchain) de bitcoins des utilisateurs de cette bourse de cryptomonnaies a été saisi par le FBI au Canada, dès le 25 juillet (jour de l’arrestation d’Alexandre Vinnik). Cette opération judiciaire entraînant des pertes financières importantes pour de nombreux traders actifs sur le site, peut-être de bonne foi, certains n’hésitèrent pas, dans les commentaires du site news.bitcoin.com qui leur annonçait la nouvelle, à estimer qu’ils avaient été «goxés [goxed] une fois de plus» (allusion au scandale MtGox) quand d'autres pointèrent la responsabilité directe du FBI.
Nous tiendrons responsables les agents de changes basés à l’étranger, y compris ceux qui négocient des devises virtuelles, qui ont des activités commerciales aux Etats-Unis lorsqu’ils violent intentionnellement les AML
Dans le communqiué du FinCEN du 26 juillet, le directeur de cette administration judiciaire et financière américaine Jamal El-Hindi prévenait aussi : «Nous tiendrons responsables les agents de changes basés à l’étranger, y compris ceux qui négocient des devises virtuelles, qui ont des activités commerciales aux Etats-Unis [comprendre avec des clients américains dans le cyber espace] lorsqu’ils violent intentionnellement les AML.»
Pour plusieurs informaticiens et traders du système Bitcoin qui ont accepté de nous répondre sous la protection de l’anonymat, ce serait pour la puissance américaine un moyen d’imposer une juridiction extra-territoriale et globale à la monnaie virtuelle. Elle aurait, pour les autorités américaines, entre autres défauts celui de voir son ingénierie financière dominée par la Chine, l’Inde. Quant au gouvernement russe, il a annoncé récemment son intention d'y prendre pied, selon Bloomberg et notre confrère Sputnik.
Mais le tribunal de Californie du Nord (Bay area) n'est pas seul à réclamer Alexandre Vinnik. Vers le 15 août la justice russe a également adressé une demande d’extradition au tribunal de Thessalonique à l’encontre d’Alexandre Vinnik accusé d’une escroquerie sur internet pour un montant de 600 000 roubles (environ 9 000 euros). Alexandre Vinnik n’a pas opposé d’objection à cette demande de la Russie sur laquelle le tribunal de Thessalonique n’a pas encore statué. Ce dernier devrait rendre un nouvel avis le 11 octobre, mais la décision finale sera prise au niveau du ministère grec de la Justice, à une date encore inconnue.
En théorie, la loi grecque prévoit un délai maximum de deux mois d'incarcération (déjà dépassé) entre une demande d'extradition et la décision de la justice. Mais l'on peut s'attendre, compte tenu des pressions au plus haut niveau de la part des Etats-Unis comme de la Russie, qu'Alexandre Vinnik passe encore quelque temps à l'ombre des murs de la prison de Diavata.
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