Vendre les aéroports français à des investisseurs étrangers ? La Cour de comptes a sorti le carton jaune concernant la cession de la société d'exploitation de l'aéroport de Toulouse à Casil Europe, une société détenue par un consortium chinois, en avril 2015. Cette privatisation controversée du quatrième aéroport français avait été supervisée par Emmanuel Macron, alors ministre de l'Economie. Aujourd'hui, le groupe asiatique est accusé de «vider les caisses» de l'aéroport.
Catherine de Kersauson, magistrate de la Cour des comptes, ainsi que Valérie Rabault, députée socialiste du Tarn-et-Garonne et rapporteur spécial d'un rapport parlementaire sur les participations financières de l’Etat, ont dressé en commission des finances le 13 novembre le bilan de cette vente, qui suscite interrogations et perplexité. En 2015, l'Etat avait cédé 49,9% des parts de l'aéroport de Toulouse-Blagnac pour 308 millions d'euros à Casil Europe, avec une option pour 10,1% supplémentaires, qui n'a finalement pas été exercée. Sur les trois premiers exercices comptables, Casil Europe a versé environ 30 millions d’euros de dividendes à ses actionnaires, dont 16,5 millions d’euros puisés dans les réserves en 2016 et 2017. La députée, qui s'appuie sur les données de son rapport parlementaire sur les participations de l’Etat, a blâmé les décisions comptables du géant asiatique.
En termes de protection d'un outil stratégique de l'Etat, c'est extrêmement grave
«Il est clair que le consortium chinois est en train de vider les caisses de la société», dénonce la députée socialiste en commission. Elle l'accuse d'avoir proposé un prix surévalué à l'achat et de se rembourser en puisant dans les réserves pour verser de juteux dividendes aux actionnaires. Elle informe qu'en 2017, le groupe a effectué un «changement d’écriture comptable» qui «a permis de dégager 12 millions d'euros de bénéfices, qui fait passer le bénéfice de 9 millions à 20 millions d'euros». «Et le consortium, que dit-il ? On va distribuer la totalité du bénéfice en dividendes. En termes de protection d'un outil stratégique de l'Etat, c'est extrêmement grave», s'inquiète l'élue du Tarn-et-Garonne.
Il est clair que le consortium chinois est en train de vider les caisses de la société
Catherine de Kersauson tente quant à elle l'euphémisme lorsqu'elle estime que les ratés, bévues et conséquences des trois ventes d’aéroports français étaient une façon d'«essuyer les plâtres». «Le rapport que nous avons commis, l'expérience qui a été acquise par les acteurs de ces privatisations doivent permettre de remédier à un certain nombre de difficultés apparues à l’occasion de ces premières privatisations d’aéroport», explique-t-elle. Elle informe que désormais, «des procédures plus robustes [seront] mises en place». Cela laisserait-il entendre que les acteurs de la vente, pilotée au plus haut sommet de l'Etat et notamment par Emmanuel Macron, étaient novices dans leur gestion de telles cessions nationales ?
Les deux rapports produits sur la vente de l'aéroport de Toulouse ont en outre relevé plusieurs points litigieux. L'acheteur chinois n'avait pas d'expérience de gestion aéroportuaire, ce qui a été exigé dans le cadre de rachats d’aéroports ultérieurs. Lors des cessions de présentation de l'offre de Casil Europe, le cahier des charges présenté par les Chinois semblait très ambitieux, mais les investissements que les actionnaires locaux avaient évoqué lors de réunions, comme un projet de métro par exemple, n'ont pas été mis en œuvre. Casil Europe a plutôt mis l'accent sur les commerces. Au titre des nouvelles infrastructures, on note principalement un hangar de peinture pour avions et une nouvelle jetée pour les low-cost.
Avec Toulouse, puis avec Nice et Lyon, on a essuyé les plâtres
Par ailleurs, un des intérêts potentiels de la cession à Casil était d'ouvrir des lignes avec la Chine, projet qui n'a toujours pas abouti. En janvier 2018, Mike Poon, le président de Casil Europe, a annoncé une ligne directe Zhenghzou-Toulouse pour avril 2019, mais ceci n'a pas été confirmé.
Plus troublant encore, le rapport de la Cour des compte note des failles dans la procédure d'appel d'offres. Il déplore le «manque de transparence financière» de Casil Europe, un acquéreur qui «soulève les inquiétudes». Casil Europe est en effet constitué pour moitié d'un fonds d'investissement hongkongais domicilié... dans les îles Vierges. Trois sociétés intermédiaires créées pour le rachat étaient en outre domiciliées aux îles Caïman ou au Luxembourg. Elles ont été priées par l'Agence des participations de l'Etat (APE), chargée de la vente, de se reloger, pour éviter un «risque réputationnel», à Hong Kong.
Le rapport s'interroge en outre sur le fait que l'APE n'a pas consulté, ou bien trop tard, les «autres administrations de l’Etat» compétentes pour analyser les aptitudes ou fiabilité du nouvel actionnaire.
Des problèmes identifiés par les opposants à cette vente
Les difficultés actuelles étaient-elles prévisibles ? Les opposants à cette cession avaient pourtant bataillé pour empêcher la cession en décembre 2014. Des élus régionaux, des syndicats et des associations de riverains avaient demandé au Conseil d'Etat la suspension de la privatisation de l'aéroport. Ils fustigeaient déjà le manque de transparence et les défauts du cahier des charges lors de l'appel d'offres, condamnant une décision néfaste pour la région toulousaine.
Les juges du référé du Conseil d'Etat avaient rejeté leur requête, expliquant ne pas avoir de doutes sur «la légalité de la procédure suivie, sur le respect de la réglementation ni sur une erreur d'appréciation du gouvernement». Alors que les derniers rapports parus confirment les doutes des opposants de l'époque, comment expliquer que les acteurs de la vente ne s'en soient pas aperçu avant, eux qui étaient pourtant les mieux qualifiés pour la mener à bien ? A l'heure où les aéroports de Paris pourraient passer sous la houlette de sociétés étrangères, l'intérêt des privatisations et l'amateurisme de leur mise en œuvre interrogent.
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