«A cause de l'administration Trump, nous avons décidé de mettre un terme à la desserte de l'Iran», a déclaré selon l'AFP Rodolphe Saadé, président du groupe français CMA-CGM, numéro 3 mondial du transport maritime par conteneurs, le 7 juillet lors des Rencontres économiques d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).
«Nos concurrents chinois hésitent un peu, donc ils ont peut-être des relations différentes avec l'administration Trump», a-t-il ajouté.
L'armateur français avait signé en 2016 un protocole d'accord avec l'Islamic Republic of Iran Shipping Lines pour échanger ou louer des espaces de navires, exploiter des lignes maritimes communes et coopérer dans l'utilisation de terminaux portuaires.
Interrogé sur RTL en marge des Rencontres, le PDG de Total Patrick Pouyanné, qui avait déjà annoncé qu'il se retirerait d'un vaste projet gazier en Iran faute d'obtenir une exemption de Washington, a assuré n'avoir «pas d'autre choix». «Vous ne pouvez pas diriger un groupe international dans 130 pays sans accès au monde financier américain. Donc, de fait, la loi américaine s'applique et donc nous devons quitter l'Iran», a-t-il expliqué.
Le PDG de Total a précisé que le groupe qu'il dirige avait perdu «40 millions de dollars» à cause de l'abandon de son projet en Iran, mais relativisé cette perte : «A l'échelle de Total, qui investit 15 milliards de dollars par an, ce n'est pas beaucoup.»
Donald Trump a annoncé début mai le retrait des Etats-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien et le rétablissement de sanctions contre l'Iran, ainsi que contre toutes les entreprises ayant des liens avec la République islamique.
Washington avait précisé que les sanctions seraient effectives immédiatement pour les nouveaux contrats et avait donné jusqu'à 180 jours aux entreprises étrangères pour cesser leurs activités avec l'Iran.
Réactions outrées en France
Contrairement au cas du conflit commercial provoqué par la décision prise en mars par l’administration Trump de taxer les importations d’acier, y compris celles qui viennent d’Europe, l’Union européenne s’était abstenue de toute riposte réelle ou symétrique, par exemple en décidant d’interdire l’importation d’hydrocarbures américains.
A l’époque, le ministre français de l'Economie Bruno Le Maire avait tonné sur France Culture : «Il n'est pas acceptable que les Etats-Unis soient le gendarme économique de la planète.» Sur Europe 1, il avait même demandé le 11 mai : «Voulons-nous être des vassaux des Etats-Unis ?» et avait précisé dans son tweet daté du même jour : «L'Europe est à un moment de vérité : à elle d'affirmer enfin sa souveraineté économique et de défendre ses propres intérêts économiques ! #Iran #UE.»
Quelques jours plus tard le président de la République française, Emmanuel Macron, évoquant les sanctions américaines contre l’Iran ainsi que les taxes sur les importations d’acier, déclarait : «Ces sujets sont des tests de souveraineté pour l'Europe.»
Cependant le chef d'Etat précisait le même jour les limites de l’action européenne ou française en déclarant : «On ne va pas sanctionner ou contre-sanctionner des entreprises américaines pour répondre sur ce sujet-là, ça n'aurait pas de sens [...] parce que l'objectif final est quand même d'avoir cet accord large.»
Malgré tout, à propos des décisions prises le 17 mai à l'issue du sommet UE-Balkans occidentaux à Sofia, en Bulgarie, il ajoutait qu’elles étaient «claires et fortes».
Le même jour et dans le même contexte, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker venait de déclarer : «Nous devons maintenant agir […] C'est la raison pour laquelle nous lançons le processus de la loi de blocage, le "blocking status" de 1996, qui vise à neutraliser les effets extraterritoriaux des sanctions américaines".»
Il faisait référence au règlement européen n° 2271/96 du Conseil du 22 novembre 1996 «portant protection contre les effets de l'application extraterritoriale d'une législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant». Ce texte avait été adopté principalement pour contrer les effets du blocus économique américain contre Cuba, mais le différend entre les Etats-Unis et l’UE avait finalement été résolu par un accord politique.
Le «Blocking status» ne convainc même pas la Banque européenne d'investissement
Dès le 6 juin, un communiqué de la Banque d'investissement européenne (BEI) mettait en lumière l’effet strictement symbolique de ce «blocking status». A la Commission qui lui avait demandé de soutenir ses investissements dans la République islamique, la Banque d’investissement des Etats membres expliquait son refus en déclarant : «Une condition préalable à son modèle économique est que la Banque reste une institution solide crédible sur les marchés internationaux des capitaux, ce qui serait incompatible avec l'ignorance des sanctions possibles contre l'Iran.»
En d’autres termes, en raison de la prééminence des institutions financières américaines sur les marchés internationaux de capitaux, la BEI, plus grand emprunteur et prêteur multilatéral au monde, dut refuser de satisfaire les demandes de l’institution qui rassemblait pourtant tous ses actionnaires (les Etats membres de l’UE). Lesquels n’insistèrent pas.
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