Le ministère français des Affaires étrangères accueillera le 6 avril, dans ses locaux de la rue de la Convention à Paris, la Conférence économique pour le développement par les réformes et avec les entreprises (CEDRE), aussi appelée Paris IV. Elle doit permettre, grâce à la participation de représentants de plusieurs pays arabes et européens, ainsi que d'institutions financières régionales et internationales, de lever des fonds pour un programme d’investissements voué à soutenir l’économie libanaise.
Le Liban vit en effet dans la crainte d'une crise économique et financière majeure, voire d’une faillite de l’Etat. Sa dette représente 150% de son produit intérieur brut (PIB). C’est la troisième plus importante au monde après celles du Japon (240%) et de la Grèce (180%). Mais cette dette pourrait passer à la seconde place d’ici cinq ans selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI).
L'économie du Liban est en panne depuis sept ans en raison de crises politiques à répétition ayant vu l'actuelle Chambre des députés prolonger son propre mandat à trois reprises : les élections législatives de mai seront les premières depuis 2009. A cela s'est ajouté le conflit en Syrie voisine et l'afflux d'environ 1,5 million de réfugiés, dans un pays de six millions d'habitants.
Selon Nadim Mounla, conseiller du Premier ministre Saad Hariri, cité par l’AFP, le Liban espère lever «entre 6 et 7 milliards de dollars sous forme de lignes de crédit et de dons». Avant la conférence, les autorités ont adopté in extremis le budget 2018 qui prévoit un déficit de 4,8 milliards de dollars, soit près de 10% du PIB.
Mais, dans une note alarmante publiée en février, le FMI déclarait : «Le Liban a crucialement besoin d'un plan de consolidation fiscale.» En autres termes, faire rentrer l’argent dans les caisses de l’Etat et maîtriser la dépense publique. Or, le pays prend le chemin inverse : l'Etat a embauché près de 26 000 nouveaux fonctionnaires au cours des trois dernières années et a voté récemment une hausse des salaires du secteur public dont le coût annuel est estimé à plus d'un milliard de dollars.
Evasion fiscale, croissance atone et déflation : un cocktail explosif
De plus, le pays est particulièrement touché par les effets indirects de la guerre en Syrie. Depuis son déclenchement en 2011, l’économie libanaise qui croissait à un rythme annuel moyen de 6% ne progresse plus qu’à un rythme de 1% à 2%. Pour tout arranger, les comptes de l'Etat sont frappés par une évasion fiscale estimée à environ 4,2 milliards de dollars (3,4 milliards d’euros) par an. Dans ces conditions, difficile d'assurer l'équilibre budgétaire, alors qu'il est également impensable d’augmenter les impôts du fait de l'augmentation croissante des inégalités depuis plusieurs décennies.
Selon l’hebdomadaire libanais Magazine, «la répartition des comptes bancaires entre les tranches sociales de la population a montré que 2% seulement représentent plus de 59% des dépôts bancaires, contre 98% représentant moins de 40% des dépôts». Un vrai frein à une reprise économique en grande partie conditionnée par une augmentation de la consommation intérieure de masse. En outre le Liban est touché par une forte corruption qui, selon l'ONG Transparency International, le classe au 143e rang sur 180 pays. Enfin, le pays s’est enfoncé depuis quelques années dans une spirale déflationniste mortifère pour les investissements privés. Difficile en effet de produire quand on sait d’avance que les prix de vente en baisse ne pourront permettre de rembourser les investissements.
14 milliards de dollars espérés pour 250 projets d'infrastructures
A l’origine, le plan d’investissement sur dix ans servant de base programmatique à la conférence Cedre estimait les besoins à 14 milliards de dollars pour financer 250 projets. Mais aujourd’hui, 4 à 6 milliards seraient déjà un bon résultat. Or, le pessimisme domine pour plusieurs raisons. En effet, entre les besoins de la reconstruction en Irak et la rigueur budgétaire en Europe, on ne voit pas bien d’où pourrait venir l’argent.
Dans un éditorial publié par Arab weekly, magazine de langue anglaise paraissant au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et aux Emirats arabes unis (et donc politiquement marqué) l’économiste Wael Mansour, collaborateur régulier de la Banque mondiale doutait du succès de la conférence en ces termes : «Il est loin le temps où le président français Jacques Chirac pouvait regarder droit dans les yeux les chefs de délégations et exiger quelque milliards de dollars supplémentaires pour soutenir le Liban comme il le fit lors de la conférence de Paris en 2002.»
En réalité aucune considération objective, à l’heure actuelle, ne permet de justifier des investissements privés au Liban. Or, c'est sur le principe de partenariats public/privés que repose le processus de la conférence Cedre. Certes, les demandes appuyées pour réformer le code de l'eau ainsi que le système de distribution et de production de l’électricité laisse entrevoir des perspectives de privatisation de ces services qui pourraient échoir sous forme de concessions à des grands groupes aux reins solides. Mais il semble que les enjeux soient principalement géopolitiques, c'est-à-dire liés à la volonté d'influence d'Etats.
Une conférence qui devrait souligner les rivalités géopolitiques
Pierre Duquesne, nommé en octobre dernier, ambassadeur délégué interministériel à la Méditerranée et principal artisan de la conférence expliquait ainsi dans une interview accordée en février à l’Agence nationale d’information libanaise que les Etats qui ne participeraient pas à la conférence rateraient «l’opportunité d’aider un pays dont la stabilité est importante pour la région et pour le monde». On ne saurait être plus clair dans les limites étroites de la langue diplomatique.
Dans ces conditions, la grande inconnue est l'engagement de l'Arabie saoudite. Une crise très grave avait éclaté début novembre quand le Premier ministre Saad Hariri avait annoncé, dans des circonstances troublantes, sa démission depuis Riayd, la capitale saoudienne. Il l'avait reprise, trois semaines plus tard, après une intervention diplomatique de la France et son retour au Liban. Depuis, les relations entre le pays le plus endetté et la première économie du Moyen-Orient semblent s'être améliorées. Ainsi, le 3 avril, trois jours à peine avant la conférence parisienne, Saad Hariri, inaugurait le boulevard du roi Salmane à Beyrouth, en présence du chargé d’affaires saoudien. L'occasion de clamer son attachement au Royaume en déclarant : «Il existe entre le Liban et l'Arabie saoudite une histoire qui ne pourra pas être cassée, quoi qu'on s'efforce de faire.»
Cedre s’inscrit dans un cycle de trois conférences décidé lors de la réunion du groupe international de soutien pour le Liban qui s’est tenue sous l’égide des Nations unies, à Paris le 8 décembre dernier. Elle accueillait des représentants de l’Allemagne, de la Chine, de l’Egypte, des Etats-Unis, de l’Italie, du Royaume-Uni, de la Russie, ainsi que de l’Union européenne, de la Ligue arabe, du HCR (Haut comité des Nations Unies aux Réfugiés), de la Banque mondiale et du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement). Elle a prévu une prochaine réunion à Bruxelles en avril, consacrée à la question des réfugiés syriens au Liban, mais aussi une conférence de soutien aux forces de sécurité libanaises qui s’est tenue à Rome le 15 mars dernier et a donné le ton du cycle. On y a vu se faire courtoisement concurrence différents Etats montrant leur engagement dans la question de la stabilité du Liban sous forme de garanties sur des contrats de ventes d’armes à venir.
La France a proposé 400 millions d’euros, soit huit fois plus que l’Union européenne et quatre fois plus que les Etats-Unis. La Russie, qui était représentée par l’émissaire spécial pour le Moyen-Orient et l’Afrique, le vice-Ministre des Affaires étrangères Alexandre Bogdanov, a, elle, proposé un milliard de dollars, sous forme de prêts à des conditions avantageuses pour l’achat de matériel militaire russe. L’information a été confirmée par le Premier ministre Saad Hariri, lors de la réunion du conseil des ministres du 21 mars au palais présidentiel de Baabda en partie consacrée au bilan de la conférence de Rome.