«Avec l’élimination de ces taxes, les entreprises vont pouvoir reprendre leurs exportations de biodiesel vers l’Union européenne», s’est réjoui, le 21 mars à Jakarta, Oke Nurwan, haut-responsable du ministère du Commerce d’Indonésie. Il réagissait à un arrêt rendu le même jour par la Cour européenne de justice, favorable à l’archipel, dans un conflit lié aux taxes européennes anti-dumping contre le bio-carburant indonésien produit à partir d’huile de palme.
C’est un nouveau coup dur pour les producteurs européens de colza – l’autre source de biocarburant européenne et notamment française – déjà durement concurrencés par le biodiesel argentin. En effet, à la suite des conclusions d’un «panel» (groupe d’experts de l’OMC mandatés pour résoudre un différend), l’Union européenne (UE) avait déjà abaissé, en septembre 2017, entre 4,5% et 8,1%, ses taxes sur le biodiesel argentin. Décidées en 2013 pour une durée de cinq ans, elles étaient auparavant en moyenne (suivant les producteurs) de 24% sur le biocarburant argentin, majoritairement produit à base de soja et de 18,9 % sur le biocarburant indonésien issu de l’huile de palme.
L’UE abaisse ses tarifs anti-dumping quand l’administration américaine les relève
A peu près au même moment, le département du Commerce des Etats-Unis avait, lui, imposé des taxes anti-dumping, encore relevées en février de cette année, jusqu’à les rendre dissuasives afin de protéger ses agriculteurs. Selon la Fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux (FOP), les cargos prévus pour les Etats-Unis se sont alors reportés sur l’Europe, apportant une production de 850 000 tonnes en quelques mois dont une partie importante en France. Effet direct : le producteur français Saipol a dû mettre en chômage technique 90 de ses salariés pour six mois.
Pour la FOP, la survie de la filière française de colza est directement menacée par cette situation, où elle voit des distorsions de concurrence s’exercer contre les producteurs européens, au moment où l’UE abaisse ses défenses pendant que les Etats-Unis les relèvent.
Et cette question engage non seulement les agriculteurs, mais aussi l’indépendance de la filière élevage. En effet, l’économie du colza dépend à 70% de sa conversion en biocarburants, mais les graines servent aussi, en plus de la production d’huiles végétales, à l’alimentation du bétail avec les tourteaux obtenus après «trituration». Si la filière perdait la part de financement issue des biocarburants, elle pourrait tout simplement disparaître, ce qui obligerait les éleveurs à importer ces tourteaux d’oléagineux actuellement produits en France.
L’enjeu : l’indépendance des agriculteurs face aux oléagineux OGM importés
Sur le site de la fédération, son président Arnaud Rousseau s’alarme déjà de la politique européenne : «Agriculteurs et industriels ont beau insister sur l’importance de ce biodiesel pour l’équilibre de la filière, la Commission reste impassible. L’intérêt environnemental de ce biodiesel, seule solution concrète et immédiate pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et de particules du parc diesel français, n’y fait rien. Pas plus que les 20 000 emplois qu’il génère dans notre pays ou sa contribution annuelle de deux milliards d’euros à notre PIB et de 1,5 milliard d’euros à notre balance commerciale.» Il rappelle enfin que la production de colza a «fortement réduit [la] dépendance aux importations de soja OGM des Amériques pour l’alimentation des animaux d’élevage».
L'UE prépare RED II, sa directive sur les biocarburants
Mais une nouvelle épée de Damoclès pend sinistrement au-dessus des producteurs français de colza. En effet, en plus d’abaisser ses droits de douanes, l’Europe planche actuellement sur la résolution Red II. Actuellement en phase de «trilogue», c’est-à-dire en débat entre le Conseil européen, la Commission et le Parlement, elle pourrait jeter le bébé avec l’eau du bain. Il est, en effet, question d'interdire à la fois les biocarburants à base d’huile de palme, au nom de la lutte contre la déforestation, mais aussi les bio-carburants actuels, dits de première génération, ou de limiter fortement leur autorisation. Or, les biocarburants dits de deuxième génération ne sont pas prêts et il faudra encore des milliards d’euros d’investissements pour les développer et les mettre en marché.
Colza contre Rafale, Hulot contre Parly ?
Contactée par RT, la FOP voit dans la position actuelle de la France sur la question particulière de l’huile de palme le signe d’une schizophrénie du gouvernement et explique : «Le ministre de l’Ecologie Nicolas Hulot s’est prononcé pour la fin de biocarburants participant à la déforestation, donc a priori contre l’huile de palme, tandis que la ministre des Armées, Florence Parly, s’est prononcée contre leur interdiction, lors de ses contacts avec la Malaisie [deuxième producteur mondial d’huile de palme derrière l’Indonésie].» Une allusion nette à la tentative de vente par la France de Rafale à Kuala-Lumpur.
Ainsi, selon la lettre confidentielle électronique du monde du renseignement, Intelligence online, fin janvier, lors d’une visite en Malaisie, la ministre française des Armées, Florence Parly, aurait assuré le gouvernement malais du soutien total de la France contre le projet de directive européenne Red II visant à interdire le carburant à l'huile de palme. En effet, la Malaisie hésite désormais entre l’achat de Rafale – jusqu’en septembre dernier favori – pour moderniser sa flotte, et l'Eurofighter Typhoon, du britannique BAE Systems, également sur les rangs pour ce contrat évalué à quelque deux milliards de dollars (1,8 milliard d'euros). Or l’Eurofighter est produit par un conglomérat européen qui rassemble aux côtés du Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, pays qui ont déjà fait savoir qu’ils s’opposeraient eux aussi, via le Conseil, à l’interdiction de l’huile de palme.
En attendant, les producteurs européens de colza ne désarment pas. Via leur association, l’European Biodiesel Board (EBB), ils ont demandé à la commission européenne de diligenter une enquête sur les distorsions de concurrence internationale sur le marché des bio-carburants. Le but : mieux documenter et justifier le retour de tarifs anti-dumping, comme en ont rétabli les Américains sur la base d'enquêtes comparables. Réponse attendue d’ici le mois de juin.