Invité le 9 novembre d’une émission de la chaîne diffusée sur youtube du quotidienLes Echos, l’économiste Christian Saint-Etienne, conseiller Les Républicains de Paris, a lancé un pavé dans la marre. Selon lui, «il n’y a pas de volonté réelle d’éradiquer les paradis fiscaux». Il avance même que si les Etats-Unis, l’Union européenne et le Japon, le souhaitaient vraiment, cette question pourrait être réglée en quelques jours. A Olivier Harmant des Echos qui lui demandait si les Paradise papers révélaient «l’impuissance des Etats» l’économiste répond : «Est-ce que les Etats n’ont pas organisé eux-mêmes leur impuissance ? C'est en fait la vraie question.»
Derrière les déclarations publiques des Etats, 30 ans de complaisance
Et l'économiste d'ajouter : «Les Etats font des déclarations par devant, mais pas derrière, ont laissé pendant ces 30 dernières années prospérer ces paradis fiscaux.» On se souvient des déclarations du ministre français de l’Economie, à Bruxelles, le 7 novembre en marge du Conseil européen des ministres de l’UE. Le visage déterminé, Bruno Lemaire exigeait la création par l’Union européenne (UE) d’une liste noire d’Etats fiscalement non coopératifs qui seraient soumis à des sanctions.
Interrogé par Euronews, Pierre Moscovici, le commissaire européen aux Affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l'Union douanière, faisait des déclarations semblables. Interrogé sur la possibilité que des pays européens soient nommés dans cette liste, Pierre Moscovici botte en touche : «Attendez quelques mois.» Est-ce à dire que le Royaume-Uni en voie de Brexit avec ses dépendances anglo-normandes de Jersey et Guernesey pourrait-être visé ? Quoi qu'il en soit, on imagine mal, Malte, Chypre, l’Irlande et les Pays-Bas, atterrir sur cette liste.
Ce qu’il faut c’est interdire à toutes [ces] sociétés [...] d’avoir des filiales dans des paradis fiscaux, avec des amendes ou des peines de prison extrêmement élevées concernant la totalité des membres du conseil d’administration et des dirigeants de ces entreprises
D’ailleurs, selon Christian Saint-Etienne, l’UE seule ne peut pas faire grand-chose. Il faudrait «au minimum un accord entre l’UE, les Etats-Unis et le Japon où se trouvent les grandes places financières mondiales». Le professeur d'économie du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) propose des solutions radicales, et très éloignées de la réalité réglementaire actuelle et de ce sur quoi les Etats semblent prêts à s’accorder : «Ce qu’il faut c’est interdire à toutes les sociétés qui appartiennent à ces blocs de pays d’avoir des filiales dans des paradis fiscaux, avec des amendes ou des peines de prison extrêmement élevées concernant la totalité des membres du conseil d’administration et des dirigeants de ces entreprises.»
On en est encore très loin. Par exemple, les déboires récents du groupe de télécommunications Altice, propriété de l’homme d’affaires franco-Israélien Patrick Drahi, résident fiscal en Suisse, ont été l’occasion de se souvenir d’une enquête de la radio d’Etat France Inter diffusée en 2016. Elle citait par exemple, l’économiste Benoît Boussemart qui s’était attaché à reconstituer les pièces du puzzle financier que constitue le groupe aux 50 milliards de dettes et qui résumait : «C’est de l’optimisation fiscale. Il y a six niveaux de holdings entre Altice Luxembourg et Numéricable SAS France.» Comment ne pas s’étonner qu’une entreprise qui réalise, via SFR, 50% de son activité en France, sur le très juteux marché organisé en oligopole du téléphone mobile et de la fourniture d’accès à Internet – des services devenus essentiels pour la population – , soit enregistrée à Amsterdam ?
Les grandes institutions financières aux abonnés absents
Enfin, on peine à croire qu’au-delà des déclarations finales des sommets du G7, ou des travaux d’institutions comme l’OCDE, existe un travail sérieux et crédible pour estimer le montant global de l’évasion fiscale et in fine, ce qu’elle coûte aux PME et contribuables qui eux ne peuvent aussi facilement se soustraire à l’impôt.
Le 6 novembre, alors que venaient d’être rendus publics les Paradise Papers, Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscale de l'OCDE était l’invité de France Inter. Et il déclarait :«On estime l'optimisation fiscale à 250 milliards d'euros [dans le monde entier] par an, c'est gigantesque.»
Pourtant, vu le caractère de plus en plus systématique que semblent avoir ces schémas fiscaux, on est tenté de penser que cette estimation est bien dérisoire. 250 milliards de dollars, ce n’est finalement même pas 1% du PIB cumulé des seuls Etats-Unis et de l’Union européenne.
Et d’abord, comment arrive-t-on à ce chiffre ? Et si l’évasion fiscale est jugée «immorale» par l'OCDE, alors qu’elle est «légale», comment se fait-il qu’elle ne soit pas combattue par les principaux Etats ? Quel est le vrai poids sur les finances publiques de cette exemption pour les plus importantes entreprises mondiales (américaines) comme les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et combien ces dernières devraient-elles payer ? RT a posé ces questions par mail et par téléphone à l’équipe de Pascal Saint-Amans, le jour même de son intervention sur France Inter. Mais, agenda chargé ou embarras, malgré nos relances, l’OCDE n’avait, une semaine plus tard, pas trouvé le temps de nous répondre.
Pour Christian Saint-Etienne «c’est une révolution mentale qu’il faut opérer au niveau des Etats». Mais, fataliste, l’économiste déclare : «Il n’y aucune chance que cela se produise. Par exemple, Donald Trump laisse prospérer les paradis fiscaux.»
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