Les pays occidentaux ont souffert de leurs propres mesures de sanctions contre la Russie... et non pas de l'embargo décidé par cette dernière en représailles. C'est une étude économétrique chiffrée du CEPII, le centre français de recherche économique rattaché aux services du ministère de l'Intérieur, qui le démontre. Les chercheurs du centre, qui produit des analyses et des études sur l'économie mondiale et ses grands enjeux, ont épluché les données des douanes, notamment françaises, et les enseignements sont surprenants.
L'embargo russe, décidé en réponse aux sanctions occidentales, semble ne pas avoir d'effet déterminant sur la baisse des exportations européennes vers la Russie. Les produits non soumis à l'embargo souffrent aussi d'une baisse des exportations. Comme on le constate sur un graphique de l'étude, les marchandises échappant à l'embargo (en bleu) sont largement affectées, et les pays les plus touchés sont l'Allemagne et l'Ukraine, la France venant en cinquième position.
Entre décembre 2013 et juin 2015 les pertes se chiffrent à plus de 54 milliards d'euros à l'échelle mondiale pour le commerce international.
L'explication est plutôt à chercher – et l'étude du CEPII tend à le démontrer – dans l'incertitude et la désorganisation des systèmes de paiements internationaux, c'est-à-dire, en clair, les paiements électroniques de compte bancaire à compte bancaire entre un acheteur et un vendeur. Les Occidentaux avaient ainsi en 2015 envisagé de renforcer les sanctions contre la Russie en excluant cette dernière du système de compensation interbancaire SWIFT. Ce système, qui permet à plus de 10 000 institutions financières dans le monde de faire des virements de compte à compte, est devenu incontournable pour les entreprises de commerce international.
Un manque à gagner qui pèse bien plus sur l'Europe que sur les Etats-Unis
Les pays européens ont encaissé à eux-seuls près de 77% des pertes et 78% du manque à gagner sur les produits non soumis à l'embargo russe. Le volume du commerce international entre la Russie et l'Europe occidentale est en effet important, bien plus que celui avec les Etats-Unis, pays qui a impulsé la politique de sanctions contre la Russie mais qui ne supporte pourtant que 0,4% du coût pour les exportateurs, chiffre à comparer avec 27% pour l'Allemagne et 5,6% pour la France.
Les sanctions de 37 pays, représentant près de 55% du PIB mondial, à l'encontre de la Russie ont été décidées en 2014 sur la base de l'implication supposée de la Russie dans le conflit en Ukraine après le renversement du président Viktor Ianoukovytch en février de la même année. Les mesures ont ensuite été durcies en juillet 2014 et la Russie a répondu par des contre-mesures en imposant un embargo sur un certain nombre de produits alimentaires et agricoles européens. Le Conseil européen a annoncé au début de ce mois de juillet la prolongation pour six mois des sanctions économiques contre la Russie qui arrivaient à échéance. Le ministère des Affaires étrangères russe dénonce «la poursuite d'une politique à courte vue».
Alexandre Keller