La guerre ça coûte cher. Surtout quand votre principale ressource, elle, vous rapporte moins. Confrontés à l’effondrement des prix de l’or noir et leur engagement dans les coalitions contre Daesh mais surtout au Yémen, les six pays du CCG ont dû prendre une décision historique. Celle de taxer leurs populations. L’Arabie saoudite, le Koweït, le Bahreïn, Oman, le Qatar et les Émirats arabes unis (EAU) ont été contraints d’initier un tournant dans leurs politiques économiques. De là à les pousser à changer de modèle ? Pas sûr.
Une mise en place progressive
Les pays du Golfe considèrent la mise en place de ces taxes comme une source alternative de revenus. Mais pour ne pas fragiliser davantage des économies qui tanguent, la TVA sera introduite sur les trois prochaines années. Certains secteurs comme la santé, l’éducation ou les services sociaux en seront exemptés. Tout comme 94 produits d’alimentation.
Pour éviter la contrebande et un excès de compétitivité entre nations, les six pays ont décidé de mettre en place les taxes en même temps.
De la nécessité de changer de modèle économique
Cette décision intervient dans un contexte compliqué pour les monarchies du Golfe. Les finances de ces pays sont ultra dépendantes de leurs exportations d'énergies fossiles. Or depuis plusieurs mois, les prix du pétrole sont en chute libre. Cette semaine, le baril a touché un plus bas historique depuis la crise financière avec un prix avoisinant les 40$. Sans parler des campagnes militaires dans lesquelles les nations du CCG sont impliquées. La coalition internationale contre le groupe État islamique d’abord, bien que leur volonté d’engagement soit très critiquée. Mais surtout celle menée par Riyad au Yémen. Depuis le mois de mars, l’alliance formée par l’Arabie saoudite bombarde sans relâche les rebelles chiites houthis qui ont renversé le président Abd Rabo Mansour Hadi en février dernier. Cette guerre interposée entre l’Iran, qui soutient les rebelles, et les monarchies sunnites coûte très cher à ces dernières. Le conflit s’enlise et au mois de septembre, on a même vu une première offensive terrestre dans la province de Marib, au centre du pays.
Une chute des ressources liées à l’énergie et des guerres coûteuses. Une addition de plus en plus salée. C’est là que le changement de modèle économique entre dans l’équation.
Si rien ne bouge, plusieurs pays du Moyen-Orient pourraient connaître une catastrophe financière à moyen terme. Fin octobre, un rapport du Fonds monétaire international (FMI) s’alarmait de la situation. Pour les pays les plus dépendants, comme l’Arabie saoudite, la faillite pourrait survenir d’ici quelques années. Toujours selon le FMI, la plus grande économie du Moyen-Orient va connaître un déficit budgétaire de 21,6% en 2015 et de 19,4% l’année prochaine. Riyad a d'ores et déjà rapatrié 70 milliards de dollars de fonds qui étaient gérés par des institutions étrangères et ses réserves de change ont reculé de plus de 70 milliards de dollars.
L’Arabie saoudite fait de la résistance
L’attitude de Riyad peut sembler étrange. Lors de la dernière réunion de l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP), plusieurs observateurs ont rapporté que la majorité des pays étaient d’accord pour baisser la production. Tous sauf… l’Arabie saoudite.
Cette décision apparaissait logique. Dans un marché régi par la loi de l’offre et de la demande et une économie mondiale au ralenti, les prix auront du mal à redécoller. Si les besoins mondiaux baissent et que la production reste haute, mécaniquement, les prix chutent.
Pourtant, il semble que Riyad ait encore eu gain de cause. L’OPEP a finalement décidé de maintenir le plafond d’extraction du pétrole à 30 millions de barils par jour. Une position qui a eu le don d’énerver les Iraniens, pourtant moins dépendants que l’Arabie saoudite des fluctuations des prix de l’or noir. A l’annonce de la décision, le prix du baril de Brent n’avait pas manqué de brusquement chuter.
Les énergies vertes pour remplacer le pétrole ?
Les pays du Golfe ont bien compris que leur avenir ne passerait pas par les énergies fossiles. Mais tout le monde ne peut pas miser sur le tourisme de luxe comme Dubai. Alors certains se tournent vers d’autres sources de revenus, comme les énergies vertes. A Abou Dhabi, le gouvernement a investi dans un projet de ville propre. Masdar City, située en plein désert, ambitionne de devenir un modèle écologique.
Mais le tout vert, ce n’est pas pour tout de suite. Le prince héritier Mohamed Ben Zayed Al-Nahyane a déclaré que les Émirats arabes unis livreraient leur dernière cargaison de brut dans… 50 ans. Nawal al-Hosany, impliquée dans le projet de Masdar, se montre tout de même enthousiaste : «Nous devenons le premier membre de l'OPEP qui exporte non seulement du pétrole mais aussi de l'énergie renouvelable.» Elle fait ici référence à la participation des EAU dans plusieurs projets «verts» à travers le monde. Il reste que la part de ce type d’exportation dans les revenus du pays restent de l’ordre de l’infime.
Riyad s’y met aussi. Le pays a signé un partenariat au Maroc pour prendre part au projet de construction du plus grand parc solaire au monde. Pourtant, de nombreux observateurs l’accusent de vouloir saboter la COP21. L’Arabie saoudite s’est en effet opposée à de multiples initiatives du sommet sur le climat de Paris. Limitation du réchauffement climatique à 1,5 degré, mise en place de contrôle périodique sur les engagements ou la «décarbonisation» de l’économie entre autres.
Selon Wael Hmaidan, directeur de l’ONG Climate Action Network, elle entraînerait dans son sillage plusieurs pays arabes jouant un rôle néfaste dans les négociations. Les pays du CCG demeurent de gros pollueurs. Aux Émirats arabes unis, l’empreinte carbone par habitant est l’une des plus élevées du monde et l’Arabie saoudite se classe dans le top 10 des plus gros pollueurs. Malgré les difficultés, les pétromonarchies du Golfe sont loin d’être prêtes à abandonner la poule aux oeufs d’or… noir.