Difficile de plaider pour des énergies nouvelles quand vous êtes l’un des premiers producteurs de pétrole au monde. Alors que les négociations sont entrées dans le vif du sujet au sommet sur le climat de Paris, plusieurs négociateurs de pays en développement et militants se plaignent de l’attitude de l’Arabie saoudite. «Ils voient la direction que prennent les discussions. Le monde change et cela les rend nerveux», explique Wael Hmaidan, directeur de l’ONG Climate Action Network.
L’or noir avant tout
Les préoccupations principales de Riyad se tournent vers le pétrole. Avant d’être éclipsée par les États-Unis et leurs hydrocarbures de schiste, l’Arabie saoudite a longtemps été le premier producteur mondial. Avec une économie totalement dépendante de l’or noir, elle voit d’un mauvais oeil toute avancée sur le climat qui pourrait nuire à celle-ci. Ce que confirme Wael Hmaidan : «Tout ce qui pourrait donner un coup de fouet à l’ambition ou faire avancer plus rapidement la transition énergétique déjà en cours est systématiquement bloqué par eux.»
Dans la période qui a précédée la COP21 de Paris, l’Arabie saoudite avait adopté une attitude plus à l’écoute des questions climatiques. Elle promettait même «une baisse significative» des émissions de pollution. Pourtant, lorsqu’il a fallu remettre une offre aux Nations unies, elle s’est trouvée la dernière des pays du G20. Sans parler du fait que plusieurs analystes ont jugé ses objectifs pour le moins «opaques».
Ali al-Naïmi, ministre du Pétrole et des Ressources minérales, a même laissé entendre que le royaume envisageait sérieusement de modifier son économie. En mai dernier, il assurait que son pays était prêt pour tourner la page de la dépendance au pétrole : «En Arabie saoudite, nous reconnaissons que nous pourrions ne plus avoir besoin d’énergie fossile. Je ne sais pas quand, en 2040, 2050 ou plus tard.» Plus que jamais, ce sont les dates qui comptent. Et apparemment, ils ne seraient pas pressés. Pourtant, le faible cours du pétrole depuis plusieurs mois a sérieusement entamé les finances du royaume. Le FMI envisage même une catastrophe économique d'ici cinq ans.
A Paris, une multitude de refus
Si les critiques pleuvent, Riyad aura du mal à les faire taire avec ses récentes prises de positions. Plusieurs objectifs ont été évoqués ces derniers jours lors de la Cop21. Des buts qui visent à faire du sommet de Paris, le plus ambitieux des dernières années.
Par exemple, le nouvel objectif de limitation du réchauffement climatique à 1,5 degré à l’horizon 2060-2080. Non seulement les saoudiens le refuse mais rejette jusqu’à son évocation. Une position difficile à tenir alors même que plus de cent pays l’ont, à ce jour, accepté. Des nations aussi diverses que de petits Etats et des puissances comme les Etats-Unis ou l’Union européenne.
Concernant la «décarbonisation» de l’économie pour 2050 ? C’est également non. Mais ce qui révulse le plus Riyad, c’est bien le projet de contrôle périodique des engagements sur le climat. Selon plusieurs observateurs, la délégation saoudienne aurait vivement critiqué le dispositif : «Il est inacceptable que l’on demande à des pays en développement comme l’Arabie saoudite de participer à ce mécanisme.»
Un délégué aurait même mis en avant la pauvreté de son pays pour rejeter la proposition : «Nous, pays en développement, n’avons pas la capacité de faire cela tous les cinq ans. Nous sommes trop pauvres. Nous avons beaucoup d’autres priorités.»
Par ailleurs, le pays, pourtant 15ème puissance économique mondiale, a fait de la résistance s’agissant d'accroître les ressources du Fonds vert pour le climat. Elle a notamment argué que seuls les pays industrialisés devraient contribuer.
Demande d’aides financières
Les négociateurs ont souhaité que le royaume soit protégé contre d’éventuelles pertes liées à une baisse des revenus du pétrole. Ils ont pris l’exemple de l’archipel des Kiribati, qui demande à être indemnisé pour les risques climatiques qu’il encourt (montée des eaux).
Une aide financière pour acquérir de nouvelles technologies dans le domaine de l’énergie verte a été évoquée. Pour rappel, le pays a décidé de se diversifier de miser sur les énergies renouvelables… et le nucléaire. Un plan d’un montant de 200 milliards a été décidé. La moitié sera destiné à la construction de 16 réacteurs nucléaires d’ici 2030. L’autre partie des fonds servira le pays à se doter de 41 Gigawatts de panneaux photovoltaïques en plein désert. L'équivalent de 25 réacteurs nucléaires. Il est vrai qu’en dehors du pétrole, la principale richesse du royaume reste le soleil.
L’Arabie saoudite a signé un partenariat afin d’apporter une contribution financière et logistique à un projet d’envergure. Cette fois pas sur son sol mais au Maroc. Le parc solaire marocain de Ouarzazate, aux portes du Sahara, devrait être le plus vaste du monde. Estimé à environ deux milliards d’euros, le projet vise à couvrir près de 40% des besoins énergétiques du Maroc dès 2020.
Mauvaise influence
En dehors de ses prises de positions, l’Arabie saoudite est accusée d’orienter la position d’autres pays. Si l’Egypte a donné son accord à la limitation à 1,5 degré du réchauffement climatique dès le début des pourparlers, plusieurs nations arabes continuent de faire de la résistance. Dans le lot, on retrouve le Maroc. Le pays est pourtant l’hôte du prochain sommet sur le climat et est souvent considéré comme progressiste en la matière.
Wael Hmaidan y voit la main de Riyad : «Nous pensons que l’Arabie saoudite joue un rôle néfaste auprès des autres pays arabes. Il est tout de même regrettable que ce groupe de pays soit le dernier opposant à l’objectif des 1,5 degré.»
La monarchie du Golfe est classée dans le top 10 des plus gros pollueurs au monde. Elle fait face à d’importants problèmes énergétiques domestiques. La diversification de ses approvisionnements en électricité devient une priorité. Presque tout le courant du pays provient du pétrole. Éclairer les rues de Riyad et garder les salons frais, cela a un coût. Autant de pétrole qui ne se retrouve pas sur le marché. Comme quoi, diversifier son énergie a parfois du bon.