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« Je n’irai pas à Canossa » : le président Tebboune balaie l’idée d’une visite en France

Le chef d’État algérien Abdelmadjid Tebboune a rejeté l’idée d’une visite en France, déjà renvoyée aux calendes grecques à plusieurs reprises par le passé, sur fond d’une crise diplomatique entre les deux pays, exacerbée récemment par la reconnaissance par Paris de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Mais pas que.

« Je n’irai pas à Canossa ». C’est la réponse tant incisive que laconique qu’a donnée le président algérien Abdelmadjid Tebboune, interrogé lors d’une longue interview diffusée le 5 octobre au soir par les médias d’État au sujet d’une visite en France, « attendue » cet automne.

L'expression utilisée par le président Tebboune pour annoncer le report sine die de sa visite en France, renvoie à un conflit entre l'empereur germanique et le pape survenu au XIe siècle, l'empereur ayant été contraint de venir s'excuser à Canossa, en Italie.

Le 11 mars dernier, Paris avait dit «attendre» une visite officielle du président algérien, Abdelmadjid Tebboune, en France d'ici «fin septembre-début octobre», selon un communiqué de l'Élysée lâché à l'issue d'un entretien téléphonique entre le chef d’État algérien et son homologue français, Emmanuel Macron.

Cette visite, plusieurs fois reportée sur fond de chauds et froids récurrents entre les deux pays, devait avoir lieu «à une date à préciser» durant cette période, indiquait la présidence française, laissant entendre qu'elle interviendrait après le scrutin présidentiel du 7 septembre dernier, lequel a vu réélire le président Tebboune pour un second mandat.

Programmée d'abord début mai 2023, la visite avait été repoussée à juin de la même année, Alger craignant alors qu'elle ne soit gâchée par les manifestations du 1er mai qui faisaient rage alors contre la très contestée réforme des retraites en France. Mais Abdelmadjid Tebboune n'avait ensuite jamais confirmé sa venue, qui devait consacrer l'embellie entre les deux pays après bon nombre de crises diplomatiques.

Il s'était en revanche rendu en juin 2023 en visite d'État en Russie, ce qui avait été perçu comme un camouflet à Paris.

Sahara occidental, la pomme de discorde

À l’origine du regain de tensions récent entre Alger et Paris : la reconnaissance par Emmanuel Macron de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental le 30 juillet dernier, suivie par la décision de l’Algérie de retirer «avec effet immédiat» son ambassadeur en France.

Le président français avait alors affirmé, dans une lettre adressée au roi du Maroc Mohamed VI, le soutien de la France au plan d’autonomie de Rabat pour le Sahara occidental, Paris considérant désormais ce plan comme «seule base» pour le règlement du conflit. Dans un communiqué, le ministère algérien des Affaires étrangères avait exprimé son «grand regret» et sa «profonde désapprobation», qualifiant cette décision de «surprenante, inappropriée et contre-productive».

Désormais actée, cette décision avait déclenché une crise diplomatique de grande ampleur entre Paris et Alger, dont les relations sont déjà tendues.

Alors qu’Alger avait rompu ses relations diplomatiques avec Rabat en août 2021, Paris a réenclenché en février dernier un processus de réchauffement avec le Maroc, au risque de détériorer davantage les relations avec l’Algérie qui sont au plus bas depuis des années.

Le Sahara occidental, ancienne colonie espagnole, est considéré comme un «territoire non autonome» par l’ONU en l’absence de règlement définitif. Depuis près de 50 ans, un conflit armé y oppose le Maroc aux indépendantistes du Front Polisario, soutenus par l’Algérie voisine.

Rabat prône un plan d’autonomie sous sa souveraineté exclusive, tandis que l’Algérie et le Polisario réclament un référendum d’autodétermination sous l’égide de l’ONU, prévu lors de la signature en 1991 d’un cessez-le feu, mais jamais concrétisé.

La mémoire et autres dossiers épineux

Outre le dossier litigieux du Sahara occidental, les relations entre l’Algérie et la France sont conditionnées par plusieurs autres thèmes de discorde. En décembre 2023, Alger assurait que les conditions d'une visite du président Tebboune à Paris n'étaient «pas idoines», évoquant alors cinq dossiers à régler au préalable, avec en tête de liste la mémoire, ensuite la mobilité, la coopération économique et les essais nucléaires français dans le Sahara algérien.

La question de la colonisation française (1830-1962) pèse encore très lourd entre les deux pays. Le pouvoir algérien issu de la guerre d'indépendance (1954-1962) y puise sa légitimité. Une véritable «rente mémorielle», avait lancé Emmanuel Macron en 2021, après avoir tenté en vain de sceller la réconciliation entre les deux pays, suscitant alors l'ire d'Alger.

Quant aux épineux sujets de la sécurité et de l’immigration, qui cristallisent les tensions, les pourparlers semblent aussi au point mort. En novembre 2023, l’ancien ministre français de l'Intérieur, Gérald Darmanin, s'était rendu à Alger, où il avait été reçu par le président algérien, pour évoquer notamment «la lutte contre la criminalité organisée», les «migrations» ainsi que les «conséquences de la crise» au Proche-Orient. Aucune avancée n’avait été alors enregistrée sur ces dossiers.

En août 2022, la visite d’Emmanuel Macron en Algérie, la plus importante effectuée depuis des années, n’avait pas réussi non plus à réchauffer les relations qui restent au plus bas depuis des années. «Nous avons bâti les fondements de ce qui est à venir», avait souligné le président français, évoquant la volonté de dialogue sur des sujets sensibles comme la mémoire ou l’immigration, tout en ajoutant que «beaucoup restait à faire».