Par Sébastien Boussois Tous les articles de cet auteur
Sébastien Boussois est docteur en sciences politiques, chercheur sur le Moyen-Orient et les relations euro-arabes, le terrorisme et la radicalisation. Il est également enseignant en relations internationales.

13 novembre 2015 : le procès d'une idéologie fanatique qui n’en finit pas 

13 novembre 2015 : le procès d'une idéologie fanatique qui n’en finit pas © Thomas COEX Source: AFP
Photographie prise le 2 septembre 2021 de la salle d'audience provisoire installée au Palais de Justice de Paris pour le procès des attentats de Paris du 13 novembre 2015, prévu le 8 septembre , 2021.
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Pour Sébastien Boussois, le procès des attentats du 13 novembre 2015 qui s'ouvrira ce 8 septembre doit être l'occasion de juger l'idéologie djihadiste mortifère qui les a générés.

Le procès-fleuve qui va s’ouvrir à Paris à partir du 8 septembre prochain n’est pas le procès d’une nuit d’horreur un 13 novembre 2015 dans l’Hexagone. Il est celui d’une vie pour des milliers de personnes directement touchées et marquées à jamais par les attentats ce soir-là. Mais aussi celui de millions de nos concitoyens encore traumatisés et qui ont été frappés en plein cœur dans leur quotidien. Jamais la France n’avait imaginé être touché de plein fouet par une telle violence, pourtant quotidienne dans nombre d’autres pays lointains, alors que tous les regards étaient tournés vers la Syrie.

Qui pouvait imaginer en effet que l’embardée d’un tel commando paramilitaire, majoritairement européen et armé idéologiquement en Orient, foncerait à pleine vitesse sur la «Ville lumière» un soir d’automne 2015 ? Il y avait sûrement un peu de naïveté de notre part, quelque chose dans notre inconscient de l’ordre du «jamais de ça chez nous». Au-delà de notre hubris, c’est bien avant tout l’engagement de la responsabilité de quelques individus fanatisés complices dont il sera question ici et qu’il faut faire, de ces complices qui seront dans le box des accusés [1]. Mais jamais, les victimes ici, comme celles là-bas, ne seront véritablement vengées d’une doctrine djihadiste extensive qui continue à se répandre, à sévir, à progresser, à séduire, à tuer. Jusqu’à la victoire pour certaines à prendre le pouvoir et se présenter en héros contre un Occident jugé trop arrogant, fier de lui et dominateur. Au fond, les djihadistes d’hier, sont les djihadistes d’aujourd’hui et seront en partie ceux de demain.  

Le procès qui s’ouvre en cour d’assises sur l’île de la Cité, ce 8 septembre, ne sera pas le procès posthume d’assaillants morts dans leur attaque funèbre donc injugeables, mais il doit être celui à venir d’une idéologie mortifère qu’il est difficile de condamner juridiquement et emprisonner derrière des barreaux. Les prisons mentales de ces individus sont plus fortes que le droit. Si Paris sera à nouveau l’épicentre du jugement premier, il ne faut jamais oublier que Daesh poursuit son entreprise de mort en attendant le jugement dernier. A commencer par l’Afghanistan, récemment de nouveau sous le feu des projecteurs, après 20 ans de guerre stérile à lutter contre un microbiote djihadiste plus renforcé que jamais. Jusqu’en Syrie, en Asie du Sud-Est et dans la région des trois frontières au Sahel, où aucune de «nos» guerres n’est parvenue, et pour cause, à enrayer ce phénomène invasif, plus virulent que jamais. Car une idéologie ne meurt jamais.

Ce procès à venir, comme celui de l’attaque contre Charlie Hebdo ou de l’hypercacher de la porte de Vincennes, est essentiel pour les victimes. Personne ne ramène les morts, mais leur mémoire doit être gravée à tous jamais dans les esprits. On ne se relève pas de la mort, certains ne se relèvent pas de la vie. Et on les comprend. Mais que peut-on offrir aux victimes de plus qu’un procès si ce n’est la reconnaissance éternelle de la nation via le procès de responsables invisibles ? Certes, il faut juger car ne pas juger est impossible : mais juger quoi et surtout juger qui ? Comment juger en réalité une idéologie avant les actes qui l’illustrent de façon mortifère ? 

Tout le monde doit payer à son niveau car nous sommes dans un Etat de droit mais qui paie pour la diffusion de l’idéologie de mort ?

Cela se pose à d’autres niveaux. Dans le domaine international, priver les victimes d’actes de violence, de torture, de massacres, d’un véritable procès pour le fond et pour la forme en parvenant à condamner les premiers responsables, devient monnaie courante. Le droit international a ses limites depuis ses fondements. Si par exemple du temps du «procès du nazisme», Adolf Eichmann, en est devenu l’emblème tout entier à Jérusalem en 1961, et que pour le procès du Rwanda, on a pu retrouver un certain nombre de hauts-fonctionnaires génocidaires, ou encore lors de la guerre en Bosnie avec la condamnation de dirigeants serbes de haut niveau, les personnes physiques ne sont plus forcément encore en vie. Pire, on se retrouve de plus en plus souvent avec des procès qui doivent exister mais qui s’acharnent contre ce que l’on pourrait juger comme des seconds couteaux, ou des complices, parfois des gens médiocres, car il nous faut un «responsable» à juger pour l’exemple. Salah Abdeslam, en cas d'espèce à venir, comme d’autres qui seront aussi dans le box des accusés. Tout le monde doit payer à son niveau car nous sommes dans un Etat de droit mais qui paie pour la diffusion de l’idéologie de mort ? 

Les éliminations physiques ou suicides nous privent de ce travail indispensable de justice humaine réparatrice plutôt que divine. Ce fut le cas avec Oussama Ben Laden, accusé d’avoir fomenté les attentats du 11 septembre 2001, et qui fut tué plutôt que d’être confronté à un vrai procès équitable. Mais avait-on le choix ? Chaque jour dans le monde, des millions de personnes vivent dans l’abysse d’un deuil impossible et une frustration éternelle puisqu’il n’y a plus personne à condamner. Voilà le plus terrible : être victime aujourd’hui du terrorisme, spécifiquement islamiste, c’est au minimum encourir la double peine d’être frappé par le hasard car le terroriste frappe souvent à l’aveugle, et en cas de survie, ne pas voir le coupable puni pour ses actes. Car hélas dans l’idéologie djihadiste, on choisit la mort directement dans la foulée de son acte. A chaque fois qu’un terroriste est abattu avant (mais a-t-on toujours le choix ?) ce sont de nouvelles âmes en peine qui vivront à vie la déchirure entre l’avant et l’après. Pouvait-on pour autant ne pas tuer les assaillants du Bataclan, du Stade de France et des terrasses ? Quasi-impossible bien sûr. 

Ne devrait-on pas au fond faire "pour l’exemple" un procès global historique de l’idéologie [...] ?

Avant ce procès qui démarre, l’ouverture des premiers procès djihadistes à Paris de la vague de 2015 avec celui de Charlie Hebdo, après celui de Mohamed Merah en 2017 jugé pour les attentats de Montauban et déjà mort, posait les mêmes questions. En attendant, nombre de victimes toujours vivantes peinent encore à obtenir des indemnisations de la part de l’Etat six ans après. Idem lorsque le procès des attentats de Bruxelles débutera ensuite, alors que des victimes directes réclament toujours une aide de l’Etat belge. Mais ne devrait-on pas au fond faire «pour l’exemple» un procès global historique de l’idéologie, de nos failles aussi, car elle est à la racine de tout ? Mais comment, c’est cela la question. Y répondre un jour, ce sera peut-être entamer un processus plus profond de résilience, de réconciliation et de reconstruction de nos sociétés déchirées un peu plus chaque jour dans un monde en proie à toutes les dérives extrémistes. Des dérives qui ne sont plus essentiellement islamistes. 

[1] Contrairement aux procès passés de l’attaque passée de Charlie Hebdo ou des procès à venir de l’attentat des Champs-Elysées à celui de Nice. 

Sébastien Boussois

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