Les événements se précipitent. Sur fond de crise économique et sanitaire, d'angoisse identitaire et culturelle, on assiste médusé à la multiplication de décisions, d'affirmations qui illustrent, en réalité, la profondeur du malaise français. Il y a quelque temps, Marcel Gauchet parlait de «malheur français». La question que nous devons également nous poser est de savoir si cette dépression française est passagère ou si elle est la signification, selon Pierre Manent, «du désir de persévérer dans l'être qui serait en train de quitter les Français» pour paraphraser la formule de Spinoza.
Je suis de ceux qui considèrent que ce questionnement est central et qu'il fait partie de ces nouvelles lignes de fractures, de ces nouveaux clivages qui agitent de plus en plus violemment la société française. Qu'est-ce qu'être Français ? Qu'est-ce que la nation française ? Souhaite-t-elle «persévérer dans son être» ? Question redoutable qui nous oblige à réinterroger un continent oublié. Qui nous oblige également à reprendre langue et contact avec notre histoire:
- A réinterroger ainsi Michelet et son Histoire de France, qui écrit que “la France a fait la France, et l’élément fatal de race m’y semble secondaire. Elle est fille de sa liberté".
- A réinterroger aussi Jaurès dans l’introduction de son Histoire socialiste de la Révolution française : “Il nous plaira, à travers l’évolution à demi mécanique des formes économiques et sociales, de faire sentir toujours cette haute dignité de l’esprit libre, affranchi de l’humanité elle-même par l’éternel univers... Aussi notre interprétation de l’histoire sera-t-elle à la fois matérialiste avec Marx et mystique avec Michelet”,
- A réinterroger évidemment de Gaulle qui toute sa vie s'est fait «une certaine idée de la France. Le sentiment me l'inspire tout autant que la Raison».
- Ou à réinterroger encore Braudel dans son Identité de la France : «Toute nation est divisée, vit de l’être (...) La division est dans la maison française, dont l’unité n’est qu’une enveloppe, une superstructure, un pari.» Tout est dans le pari mis en lumière par Braudel.
Là est probablement l’exceptionnalité française et le génie de notre pays, c’est le refus de la communauté par l’Egalité. Je pourrais en citer des dizaines d'autres, historiens, penseurs, politiques...
Et bien c'est de cela dont il s'agit. De reprendre langue avec ce que nous sommes. Non pas dans une vision idéalisée d'un âge d'or qui, comme tous les âges, d'or n'a jamais existé, mais avec la volonté «d'être». De reprendre un chemin qui ne peut être que celui de notre liberté et peut-être de notre destin.
Car ne nous berçons pas de fausse naïveté, la tentation de la disparition est là. Elle existe et beaucoup la souhaiteraient. Cela oblige chacun à prendre ses responsabilités au regard de l'histoire et surtout de l'avenir.
Qu’y a-t-il en effet de commun entre les partisans de l’indigénisme, du décolonialisme, de l’intersectionnalité, des différentialismes divers et variés et ceux pour lesquels ces théories sont dangereuses et contraire à ce que nous sommes ? Qu’y a-t-il de commun entre un partisan des «racialisations» et un universaliste ? Qu'y a-t-il de commun entre un communautariste et un républicain ? Qu'y a-t-il de commun entre la «cancel culture», la victimisation permanente de «minorités» obligatoirement discriminées par un racisme systémique, et ce que nous dit Michelet, à savoir que «la France est fille de sa liberté [...] c'est-à-dire qu’elle se fabrique elle-même, en permanence parce que refusant de se définir par une race, par un volk» ?
Comment ceux qui condamnent les dérives de l’UNEF et de ses réunions «racisées» peuvent-ils s’entendre avec ceux qui la soutiennent ? Comment ceux qui condamnent le versement d’une subvention de 2,5 millions d’euros par la municipalité écologiste (EELV) de Strasbourg peuvent-ils s’entendre dans des alliances électorales sans demander des comptes ? Parce que nous sommes ici clairement dans le renforcement d’influences étrangères qui vont directement à l’encontre des valeurs de la République et jouent contre nos intérêts intérieurs et extérieurs.
Pensent-ils, EELV et ses alliés, que les Français ne s’en rendent pas compte ? Au contraire, ils sont lucides et la responsabilité pèse lourdement sur les épaules de ceux qui ont la charge, le devoir de transmettre afin de continuer. Tout héritage se transforme et c’est très bien ainsi mais un peuple, une nation doivent se tenir droit face à l’histoire, c’est le plus sûr moyen de ne pas avoir peur de l’avenir et d’y jouer encore son rôle.
C’est aussi de tout cela dont seront faits les futurs enjeux politiques auxquels nous sommes déjà confrontés. Voilà les véritables choix. La Nation est de retour et ça ne plaît pas à tout le monde.
Claude NICOLET
Président de La Nation citoyenne