Certains économistes, principalement d'obédience néoliberale et monétariste, craignent un retour de l'inflation suite au rachat massif de dettes publiques par les banques centrales (Réserve fédérale et Banque centrale européenne) et aux plans de relance massifs mis en place tant aux Etats-Unis qu'en Europe. Après le dernier plan de relance de 900 milliards de dollars initié en décembre 2020 par l'administration Trump, Joe Biden vient de signer un nouveau plan de relance de 1 600 milliards de dollars. À y voir de plus près, il s'agit d'une relance keynésienne classique dont les principaux bénéficiaires sont les ménages américains. Une relance de la demande effective, dans le jargon des économistes.
Pour d'autres économistes (OFCE, les Economistes atterrés...), ces politiques de relance sont au contraire indispensables, préparent la reprise économique des années à venir et auront très peu d'impact sur le taux d'inflation. Le risque de surchauffe de l'économie aux Etats-Unis est très faible si l'on raisonne en terme d'output gap (écart de production), c'est à dire la différence entre la croissance potentielle et le taux de croissance effectif du PIB.
En effet, si les Etats-Unis ont perdu environ 22 millions d'emplois depuis de début de la crise sanitaire, ils en ont créé parallèlement 13 millions. Le taux d'inflation n'a été que de 1,3% en 2020 en dépit d'une accélération des prix de 5,4% au mois de décembre 2020 suite à un rebond de la consommation des ménages consécutif au plan de relance de 900 milliards de dollars. Pour autant, la cible d'inflation de 2% n'est pas encore atteinte outre-Atlantique, ni en Europe ou celle ci se situe aux alentours de 1,4%, contre +0,5% en moyenne en France en 2020.
Que traduisent concrètement ces chiffres ?
Avec des déficits publics de 16,4% du PIB pour les Etats-Unis et de 11,3% pour la France et un endettement public respectif pour ces deux pays de 104,4% et de 119,8% de la richesse nationale, il devrait y avoir logiquement une reprise plus importante de l'inflation si l'on se réfère à la théorie quantitative de la monnaie, selon laquelle la quantité de monnaie en circulation ne doit pas dépasser le niveau de production. Les taux d'intérêt sont proches de zéro voire même négatifs comme en Allemagne.
Pour Gaël Giraud de l'Institut Rousseau, les économies occidentales seraient même en déflation depuis 40 ans en dépit des niveaux très élevés de déficit et de dettes publiques des principaux pays industrialisés, si l'on excepte l'Allemagne qui a pratiqué pour sa part la déflation des salaires pour maintenir sa compétitivité sur les marchés internationaux.
En réalité, le risque d'inflation est très faible à court et moyen terme et on peut même redouter un scénario déflationniste à la Japonaise pour le cas de la France, ce qui est encore plus problématique que l'inflation elle même. Depuis la fin des années 1990, le Japon n'est toujours pas sorti de la déflation en dépit d'une dette publique de 250% du PIB, et des politiques monétaires particulièrement accommodantes qui ont été jusqu'alors conduites.
Le risque majeur pour nos économies est l'apparition de bulles sur le marché des actifs (financiers et immobiliers) puisque des taux d'intérêt faibles entraînent une inflation corrélative de ces mêmes actifs qui se trouvent par la même surévalués par rapport aux fondamentaux de l'économie. Ce phénomène contredit sans conteste tout le raisonnement des économistes monétaristes pour lesquels l'inflation à une origine essentiellement monétaire. C'est tout le paradoxe d'une telle situation.
Alors que faire ?
Pour prendre l'exemple des Etats-Unis, ceux-ci conduisent de manière simultanée des politique monétaire et budgétaire expansives pour atteindre une cible d'inflation de 2%. Ce sera en revanche plus problématique en Europe ou l'on évoque déjà le retour aux fondamentaux du pacte de stabilité et de croissance a l'issue de la crise sanitaire, ce qui risque encore d'accentuer la situation déflationniste en Europe et notamment en France.
Par delà le débat actuel entre l'annulation de la dette publique liée au Covid et son remboursement, toute politique d'austérité est à proscrire dans la mesure où il sera impératif de laisser jouer les stabilisateurs économiques afin de permettre un retour de la croissance économique. Avant de poursuivre les réformes structurelles, il faut s'attacher à sortir de la crise sanitaire et à maintenir les dépenses publiques à leur niveau actuel durant encore plusieurs mois afin de consolider la reprise.
La gestion des finances publiques d'un Etat ne saurait reposer sur la même logique que celle d'un budget des ménages. Car un Etat peut s'endetter autant qu'il veut dès lors que son patrimoine couvre ses dettes, ce qui est le cas de la France qui dispose d'un patrimoine de 15 500 milliards d'euros pour une dette publique de 2 674 milliards d'euros.
Ne répétons donc pas les mêmes erreurs qu'en 2012 où le gouvernement de Jean-Marc Ayrault avait conduit une politique de consolidation budgétaire qui avait brimé la croissance alors même que notre économie subissait un fort ralentissement. Il aura fallu attendre 2016 pour que celle-ci reparte et que la courbe du chômage commence à s'inverser.