«L’heure est venue pour l’Amérique de panser les plaies de la division. Nous devons nous réunir avec tous les républicains, démocrates et indépendants de ce pays, […] nous rassembler en un seul peuple uni. […] Je serai le président de tous les Américains.» Contrairement aux apparences, ce mots ne figurent pas dans le discours de la victoire de Joe Biden, mais dans celui de Donald Trump, en 2016. Les ressemblances entre les deux camps, d’une élection à l’autre, ne se limitent d’ailleurs pas aux promesses. C’est pourtant ce dont nous assurent les commentateurs depuis l’annonce de la victoire de Biden : les républicains sont de dangereux irresponsables qui «propagent des théories du complot, nient la réalité et empoisonnent les fondements de notre démocratie», pour reprendre les accusations de Chuck Schumer, chef de file des sénateurs démocrates. Néanmoins, les soutiens de Donald Trump ne doivent pas nous apparaître autrement que comme les bons élèves ayant retenu les leçons de leurs maîtres progressistes.
«Il n’est pas mon président»
Des dizaines de milliers de manifestants pro-Trump convergent vers Washington pour contester les résultats annoncés de l’élection 2020 ? En 2016, l’appel à l’unité nationale du candidat républicain s’était vu répondre par des manifestations de protestation dans les grandes villes du pays au cri de «Fuck Donald Trump». Le slogan, devenu un morceau de rap, a connu un succès qui ne s’est jamais démenti, au point de figurer parmi les titres les plus écoutés d’iTunes en novembre 2020.
De même, à en croire la presse, le refus de reconnaître la victoire de Biden serait une rupture historique avec les usages traditionnels de la politique américaine, un «dangereux chemin», selon les mots de Barack Obama, qui était déjà sorti de l’habituelle réserve des anciens présidents en participant à la campagne de celui qui fut son vice-président. Pour autant, en 2016, l’annonce des résultats avait été suivie du lancement, sur les réseaux sociaux, du mot-dièse #NotMyPresident, lequel a été utilisé un demi-million de fois en quelques heures sur Twitter, quand il regroupe à ce jour plus d’un million six cent mille publications sur Instagram. La presse s’était alors fait le relai complaisant des états d’âme de ces électeurs démocrates refusant les résultats de l’élection : «Je ne le respecterai JAMAIS. Je ne l’accepterai JAMAIS en tant que président». Il est d’ailleurs à noter que ce slogan n’est pas nouveau, puisqu’il est apparu sous George W. Bush.
Les démocrates reprochent également à l’équipe de Trump ses recours judiciaires, considérant que «les républicains sèment délibérément le doute sur nos élections», afin de délégitimer Biden. La critique peut être retournée aux démocrates qui, n’ayant jamais accepté Trump comme président, ont cherché, dès les premières heures de son mandat et durant trois ans, à le destituer, en mettant en cause sa responsabilité pénale (impeachment).
Un scrutin discutable ?
Donald Trump soutient l’existence d’une fraude électorale ? Les médias assènent comme paroles d’évangile les déclarations rassurantes des autorités électorales, s’indignent de ce que certains s’autorisent à douter de l’intégrité de celui-ci, et lancent leurs équipes de «vérificateurs» à l’assaut des rumeurs, infox et autres fariboles. S’il est vrai que le système électoral américain est parfait en 2020, tel n’était pourtant pas le cas en 2016. Nombreux étaient ceux qui estimaient qu’il avait besoin d’être réformé en profondeur. Parce qu’il était injuste. Et propice à la fraude.
La fraude électorale n’est pas rare aux États-Unis. La Heritage Foundation en a recensé plus de 1 300 cas récents avérés, en raison desquels 20 élections ont dû être annulées pour déclarer un nouveau vainqueur, dont quinze pour des fraudes impliquant des bulletins de vote par correspondance. A cet égard, le New York Times, dans un article du 6 octobre 2012, pointait déjà la vulnérabilité du système, jetant par la même occasion le doute sur l’élection présidentielle de 2000 qui avait vu la victoire du candidat Républicain George W. Bush sur le démocrate Al Gore : «Le vote par correspondance est maintenant […] suffisamment problématique pour que les experts électoraux disent qu’il y a eu plusieurs élections au cours desquelles personne ne peut dire avec certitude quel candidat était le gagnant mérité. La liste comprend l’élection présidentielle de 2000.»
Si, en 2020, les médias ferment la porte à toute discussion – «le scrutin a été le plus sûr de l’histoire des Etats-Unis» –, force est de constater qu’en 2016, ils n’hésitaient pas à couvrir de suspicion l’élection. Le Monde titrait alors «Election américaine : comprendre les soupçons de fraude électronique». Dès la première ligne, le projet pédagogique affiché s’évanouit pour révéler une autre intention : «Et si l’élection surprise de Donald Trump s’expliquait par une fraude ciblée à la machine électronique ?» Bien évidemment, il s’agit de l’hypothèse avancée par «plusieurs experts aux Etats-Unis». Et c’est à bon droit si ces «avocats et scientifiques […] appellent Hillary Clinton à déposer un recours» en raison «de possibles manipulations dans les Etats du Wisconsin, du Michigan et de Pennsylvanie». En effet, «les machines à voter américaines ont de sérieux problèmes de sécurité informatique». L’article rapporte alors que s’«il n’existe aucune preuve» d’un tel piratage, «cela vaut le coup d’enquêter». Les lecteurs les plus tenaces apprendront en fin d’article que «l’explication la plus plausible est que les sondages étaient systématiquement erronés, non que le système électoral a été manipulé».
Si le Time se demande «comment les théories du complot façonnent l’élection de 2020 et ébranlent les fondements de la démocratie américaine» – comprendre : comment les électeurs de Donald Trump adhèrent aux thèses complotistes de QAnon –, les républicains n’ont jamais eu le monopole du conspirationnisme. En 2016, nombreux sont les électeurs démocrates à considérer que l’élection leur a été volée. Dès octobre, l’administration Obama avait en effet accusé la Russie d’avoir piraté le système informatique électoral. En décembre, un sondage YouGov révèle que 52% des démocrates sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle «la Russie a falsifié le décompte des voix afin de faire élire Donald Trump à la présidence». A cette même assertion, en novembre 2018, ils sont 28% à répondre qu’elle est «définitivement vraie» et 34% «probablement vraie». Hillary Clinton, jouant de ce ressort dans une entrevue accordée à The Guardian le 20 août 2020, exhorte ainsi les Américains à voter «pour que Trump ne leur vole pas l’élection». Les accusations d’ingérence russe auront poursuivi Donald Trump durant tout son mandat. En septembre 2020, Microsoft l’évoque à nouveau, précisant que s’y ajoutent désormais celles de la Chine et de l’Iran. Ces derniers, préférant Biden, enverraient notamment des e-mails «visant à intimider les électeurs, à inciter aux troubles sociaux et à nuire au président Trump», selon le directeur du renseignement national John Ratcliffe. Gageons néanmoins que nous ne verrons pas menées d’interminables enquêtes sur l’ingérence sino-iranienne en faveur de Biden.
En définitive, c’est que ce qui était bon pour le Parti Démocrate ne l’est plus dès lors que cela profite au Parti Républicain. Barack Obama illustre parfaitement cette règle d’or de la démocratie américaine : le candidat des réseaux sociaux, dont on a pu dire qu’il avait été élu grâce à Internet en un temps où déjà 68 % des plus de 18 ans considéraient le réseau informatique mondial comme une source de désinformation, affirme désormais que celui-ci, à l’heure où le paysage médiatique étasunien est dominé par Facebook et Fox News, est devenu «la plus grande menace pour notre démocratie».
Luc Compain