Beyrouth en ruines, par Charles de Meyer, président de SOS Chrétiens d'Orient

Charles de Meyer, président de SOS Chrétiens d'Orient, revient sur ses premières impressions au sujet des explosions au port de Beyrouth du 4 août dernier et exprime ses inquiétudes face à la situation humanitaire du Liban.

Le soleil de la Garonne rétablissait le corps et l’esprit. Ces collines mille fois contemplées, là-bas, vers Martres-Tolosane, sommeillaient, épuisées par le soleil. Entre deux exercices, les nouvelles pleuvent. Les images inquiétantes de notre appartement soufflé, meubles enchevêtrés et fenêtres en morceaux, inondent les canaux de communication de SOS chrétiens d’Orient. Puis l’énorme explosion, et son champignon diabolique, arrivent sur les réseaux sociaux. C’est le port, indiquent les commentateurs. Le port qui jouxte le quartier de la Quarantaine et dont nous soutenons l’hôpital depuis des années. Le port qui ouvre sur Mar Mikhail et Gemmayzeh, dont je sais tous les bars et où je fêtais la nouvelle année le 31 décembre dernier.

Tout était déjà à craindre pour le Liban. La désunion des factions chrétiennes, la violence de la défiance internationale contre la livre libanaise et ses effets inflationnistes, l’irrésolution de la communauté internationale à réinstaller le million de réfugiés syriens présent au pays du Cèdre, formaient un cocktail misérable. Mais le port ? Et cet entrepôt à quelques mètres des quartiers résidentiels ? Et ces pompiers dépêchés à la mort dans un entrepôt dont chacun, lit-on, connaissait la dangerosité ?

Arrivé en urgence après l’explosion, j’ai constaté les dégâts psychologiques. Cette mère divorcée de Tripoli qui voudrait que la France lui accordât l’asile parce que son grand-père combattit dans ses rangs. Ce vétéran de la guerre civile qui a voulu s’exiler sans informer ses amis. Ce couple qui avait reculé avant l’émigration et dont la petite fille est morte dans l’explosion. À Qaa, bastion chrétien à la frontière syrienne, les images d’une fille de vingt ans, morte en intervenant pour affronter l’incendie, étaient projetées sur la vierge qui protège la ville. Et ce médecin qui doit fuir son ministère pour assurer le financement d’un hôpital. Et cette jeune sommelière qui manifeste pour croire en l’avenir. Ce Liban meurtri n’a pas pansé ses plaies. Et le sang de ses enfants continue de se déverser ailleurs, loin, quelque part.

Combien résisteront à la tentation du départ ? Hicham bien sûr est prêt à parier sa carrière pour rester et aider à rebâtir son pays. Mais combien cependant, parmi les jeunes gens balayant les rues, déblayant les maisons, nourrissant les affamés, choisiront l’ardeur patriotique quand tout semble disparu dans la fumée du port ? Qui dépassera le dégoût des combinaisons politiques, vite rétablies, ce jeu à somme négative où l’Iran pousse son champion pour imiter les Etats-Unis, sur fond de lyrisme macronien ? On ne fait de pas de politique au Levant avec des bons sentiments. Daesh est né comme ça.

Les masses manifestantes avaient bien raison de brocarder l’incurie de l’Etat libanais. Noyée dans ses contradictions, la classe dirigeante y néglige la vie de ses compatriotes avec une redoutable constance. Elle invente la «fresh money» alors qu’elle vient d’instaurer le contrôle des capitaux. Elle est prise dans un jeu entre Israël, le Hezbollah, la dette et les Turcs. Pire, certains croient que le bon Donald Trump sauvera les chrétiens du Liban. Comme si les trahisons américaines des guerres passées étaient oubliées…

SOS Chrétiens d’Orient a distribué des tonnes de nourriture, offert des centaines d’heures de travaux et de réconfort, alerté tous ses réseaux. De nombreux Libanais étaient à nos côtés. Mais cela ne comble qu’un peu les malheurs qui parsèment le pays.

À Beyrouth, personne ne croit que l’explosion est accidentelle. À Beyrouth, personne ne sait comment libérer le pays des emprises qui le désagrègent. À Beyrouth, beaucoup veulent s’enfuir. Ailleurs, vers une autre vie, vers une autre vocation. C’est la victoire de ceux qui veulent détruire le Liban. 

Charles de Meyer, Président de SOS Chrétiens d'Orient

Cet article est publié en partenariat avec Politique Magazine