Chaque jour apportant son lot de nouvelles, nous avons découvert, consternés, dans un article publié par Mediapart le 24 juillet dernier, qu’un certain Aloys Ntiwiragab, recherché par la justice internationale pour son rôle dans le génocide des Tutsi au Rwanda, se terrait dans la banlieue d’Orléans. Après avoir accueilli et protégé le dictateur Jean-Claude Duvalier alias BabyDoc pendant plus de vingt-cinq années sur la côte d’Azur, l’image de la France sur la scène internationale se délite de jour en jour. Comment nos élites administratives, politiques, nos services de renseignements ont-ils pu passer à côté de la présence de cette personne sur notre territoire – ou pourquoi et comment auraient-ils volontairement fermé les yeux ?
Peut-être est-il ici question de manque de courage, tout comme une certaine strate de notre Etat avait refusé, sous la présidence de François Hollande, l’accueil et la protection d’Edward Snowden et de Julian Assange en 2014 sans avancer de raisons valables, au nom d'un pays qui aime jouer médiatiquement sur la fibre humaniste.
Le mot «courage» en France est employé tous les jours, et dévoyé de son sens. On s’exclame d’un «Courage !» lorsque quelqu’un doit sortir sous la pluie ou lorsque l’on salue des collègues le lundi au bureau, au retour du week-end. Les mots ont pourtant une signification, en l’occurrence le Larousse définit le courage comme «force de caractère qui permet d’affronter le danger, la souffrance, les revers, les circonstances difficiles». Où messieurs Snowden et Assange ont-ils fait preuve de moins de courage que Baby Doc / Jean-Claude Duvalier et Aloys Ntiwiragab pour ne pas être considérés par l’Etat français comme des réfugiés politiques ? Selon l’adage «Courage, fuyons!», il semble que certains de nos hauts responsables soient en manque de valeurs et de lucidité.
Il en va ainsi pour chaque nouvelle. Je lisais récemment que le talentueux musicien Ibrahim Maalouf venait d’être innocenté en appel après ce qu’il qualifie dans son communiqué du 25 juillet de «trois années et demie d’enfer». Il déclare «la couverture médiatique de la décision de justice microscopique à côté de celle subie en 2017 lors de la révélation des accusations mensongères». A qui peuvent donc bien profiter les multiples articles, vidéos et reportages à charge contre un citoyen bénéficiant comme chacun dans notre pays de la présomption d’innocence, à laquelle tous nos politiques confirment leur attachement ? Que justifie le quasi-silence de ces mêmes médias et journalistes lorsque tombe le jugement en appel qui innocente le prévenu ? La notion de courage quant à la publication d’informations exactes est à géométrie variable : les acquittements ne semblent pas permettre de vendre des articles, mieux vaut alors oublier le sujet et laisser planer le doute… Triste constat, triste mentalité quant à ce blocage de la pensée qui conduit au blocage des actes.
Par ailleurs, lorsque l’on parle de citoyens dont les vies sont en danger parce qu’ils ont osé alerter sur des dysfonctionnements –faut-il rappeler ici qu’il s’agit d’alertes d’intérêt général – les peines s’additionnent. De blocage, on passe à un véritable carnage. En effet, notre nation n’arrive plus à compter les noms de celles et ceux qui alertent à tous les niveaux. Que ce soient des lanceurs d’alerte en entreprise, des philosophes ou encore des économistes, personnalités politiques, policiers, pompiers, médecins, professeurs, journalistes d’investigation, chacun est confronté à une vague de discrédit, d’injures voire de plaintes. Le courage de chacun dans sa spécialité, compétences et expérience à l’appui, n’est absolument pas reconnu. Face à celui qui alerte et préconise d’autres solutions, un dosage de déni, de mensonge(s), de grossièreté, de discrédit, d’hypocrisie et de lâcheté est savamment orchestré. Argumenter est devenu impossible, à part pour créer un semblant de débat afin que l’audimat explose. Le citoyen-téléspectateur se perd alors dans une stratégie médiatique parfaitement réglée pour l’émouvoir et lui faire peur. Cette mise en scène fonctionne à merveille, jusqu’à ce que les journalistes ne respectant pas la Charte de Munich soient jugés coupables de désinformation.
La génération de nos grands-parents nous avait pourtant enseigné la notion de courage face à l’ennemi, la notion de valeurs qui fait qu’une femme/un homme puisse se tenir droit, que chacun soit en harmonie avec sa conscience, que chacun de nos actes soit mesuré, pensé, réfléchi. Comment est-il possible que la majorité des citoyens vive aujourd’hui dans la peur, dans la triste naïveté, l’hypocrisie ou encore en complète collaboration avec des esprits corrompus ? Le courage, l’exemplarité, l’éthique sont des valeurs qui ont été manipulées par de faux combattants, de faux alerteurs, de faux humanistes, des personnages de cirque mis en valeur par un système qui leur donne la parole, biaise les débats et permet surtout que rien ne puisse jamais changer.
Pire encore, une guerre de crédibilité est en train d'emporter les intérêts français à moyen terme, voire à plus court terme. Internet est venu bouleverser la politique à la papa. La hiérarchisation de l'information s'effondre. Les pays, les Etats, les puissances, et les citoyens du monde le savent. De plus en plus, internet joue son rôle de contre-pouvoir international. Nous l’avons récemment vu avec la Syrie. Nous ne parlons plus de ce qui était pour sûr l'acte, la justification, qui devait renverser Bachar el-Assad.
Tout est-il revenu à la normale ? Où en sont les enquêtes internationales sur les preuves qui devaient justifier l'envoi de forces françaises sur place ? Les régimes autoritaires peuvent désormais collecter les renseignements et se moquer de nous. La politique politicienne française et ses postures aux deux poids, deux mesures met en péril notre crédibilité en accueillant des monstres et en voulant faire la guerre à d'autres. Cette même crédibilité conditionne des contrats. C'est en effet par le biais de contrats signés aux quatre coins du monde sur les hydrocarbures, l'uranium et bien d'autres énergies que la France peut fonctionner. La géo-économie, c'est la guerre des contrats entre puissances. Il est assez étrange qu'il n'y ait pas plus de lanceurs d'alerte chez les géopoliticiens et les militaires de haut rang. En géoéconomie, il n'y a pas de coups de feu, mais des affaiblissements stratégiques. En géoéconomie, soit on gagne, soit on perd des contrats. Avec une population qui perd de plus en plus confiance en ses élites (les dernières élections municipales de mars et juin 2020 le prouvent encore), notre crédibilité se délite. A l'international, on nous observe, on nous surveille. La France, qui ne peut plus donner de leçons en matière de droits de l'homme, risque de le payer très cher alors que nos politiciens semblent bien trop sûrs que rien n'a changé. Qui les conseille ? Pourquoi ne pas les alerter ? Les régimes forts rient à gorge déployée, la dissidence à l'ordre politique français établi s'esclaffent chaque fois plus fort devant la communication de l'Etat français et nos concurrents sur les contrats stratégiques se frottent les mains.
Que coûterait-il de choisir des Snowden, des Assange ? Pourquoi continuer à refuser d’appliquer la loi en faveur de celles et ceux qui ont été les premiers à démontrer il y a plus de dix années déjà des dysfonctionnements qui nous concernent tous, qui ont emporté les économies de notre pays et ont participé au désert industriel de nos territoires ? Il n’en coûterait rien, bien au contraire ! La France aurait tout à gagner à valoriser les citoyens intègres, compétents et courageux plutôt que de subir des révélations la décrivant comme la protectrice de sanguinaires. Accueillir des Justes renforcerait notre image, nous donnerait de la crédibilité et renforcerait la cohésion nationale. Mais que font les stratèges ? N'y a-t-il que des services spéciaux capables de couvrir des criminels exilés ? Les visionnaires ont-ils été sacrifiés par les carriéristes sur l'autel du conformisme et de la politique à la petite semaine ? Les premiers anticipent pour défendre nos intérêts alors que le carriérisme crasse condamne notre pays.
En cette année trouble qu’est 2020, il semble que notre pays arrive à une période charnière où deux camps se dessinent clairement. Le diviser pour mieux régner n’a pourtant jamais apporté la paix, la sérénité ni la préparation d’un avenir meilleur. Cette stratégie mortifère ne peut être porteuse de sens, notamment pour les adolescents et les jeunes qui peinent à trouver leur place dans le monde que nous leur offrons.
La rentrée promet une vague de nouvelles économiques et de violences sociales qui devrait contribuer à accentuer les clivages. Il sera peut-être alors important que des voix se lèvent pour rappeler la signification de ce qu’est le courage, la nécessité de l’enseignement de cette valeur dès le plus jeune âge et les risques pris notamment par ceux qui alertent sur les dérives orchestrées au pays de la déclaration des droits de l’homme en ce début de XXIe siècle.
Stéphanie Gibaud et Alexandre Boisson