Le 16 mars au soir, le président Macron a martialement annoncé que l’État était prêt à faire un effort de 300 milliards d’euros pour aider les entreprises et les particuliers à passer le mauvais cap de la crise actuelle. Son annonce venait après celle de Madame Lagarde qui proposait que les prêts soient accordés aux entreprises «malades» du coronavirus à un taux négatif de moins 0,75 % et après celle de James Powell qui, au nom de la FED, avait proposé de baisser le taux des crédits. Malgré ces annonces, les Bourses ont continué à plonger. Et ce ne sont pas les demandes de Monsieur Le Maire de recourir à une politique budgétaire concertée entre Européens qui a changé quoi que ce soit. Cela est normal.
Une crise traitée par des analgésiques
Si la crise économique et la crise sanitaire ont une même origine, elles ont aussi un autre point commun. Pour soigner l’une et l’autre, on n’a à disposition ni un remède efficace ni le moindre vaccin.
Force est de se retourner vers les analgésiques et antipyrétiques dont on dispose : paracétamol ou anti-inflammatoire dans un cas, politique monétaire ou budgétaire dans l’autre. La première calme la fièvre (en injectant des liquidités), la seconde la douleur (en soutenant tel ou tel secteur économique). Mais aucune ne fait disparaître la cause du mal : un système économique fondé sur la production au moindre coût d’une quantité toujours plus importante de biens dont l’utilité finale n’est pas démontrée. De plus, on a déjà abusé par le passé de ces deux expédients au point que le système est drogué. La drogue financière a conduit le système économique à vivre sur une bulle monumentale de crédits (et de fausse monnaie) tandis que la bulle budgétaire a faussé tous les indicateurs économiques (échelle des prix) dans des pays administrés par un État-providence. Que ces mesures puissent, à très court terme, procurer un certain effet euphorisant – non encore perceptible – cela est possible mais en aucun cas elles ne permettront de remettre durablement sur pied l’ensemble de la vie économique au service de tous.
Certains économistes rappellent que, lors des crises précédentes, ces politiques avaient eu un certain succès. Oui, après la crise dite des subprimes et celle des crédits, en inondant de liquidités l’ensemble des marchés financiers, on avait redonné un certain optimisme aux principaux agents économiques. Mais cet optimisme de façade ne reposait que sur un espoir de gain financier à court terme, qui occultait le creusement des écarts entre les riches et les pauvres et qui faisait oublier la croissance exponentielle de la pollution. Ces deux conséquences alimentaient simplement les discussions et le fonds de commerce des modernes sophistes.
Une crise de nature différente
La crise d’aujourd’hui est d’une nature totalement différente. Elle n’a pas commencé par éclater dans les milieux financiers. Ce ne sont pas d’abord des emprunteurs qui, n’ayant plus la capacité de rembourser leurs emprunts, ont communiqué leur virus aux banques. Ce n’est pas une chute généralisée de la consommation par défaut de confiance qui a fait chuter la production. C’est d’abord la production qui est tombée en panne et elle ne s’est pas arrêtée par défaut de demande solvable mais par impossibilité physique. Qu’elle soit monétaire ou budgétaire, la politique ne fera pas disparaître la pandémie. Qu’elle soit monétaire et budgétaire, la politique économique et financière stricto-sensu ne suspendra pas les mesures de confinement. Un surcroît de liquidités ou un étalement des charges fiscales et sociales ne rendra pas la santé ni le sourire aux malades, même guéris.
Cette crise survient alors que le corps économique tout entier est malade
Or, cette crise survient alors que le corps économique tout entier est malade. Malade d’un océan de dettes qui a rendu chacun dépendant du monde financier, malade d’un éclatement des chaînes de production qui a entraîné les phénomènes de délocalisation et de chômage de masse, malade d’une allergie aux risques qui mutualise les pertes et enrichit les fonds de pension, malade d’un égoïsme libéral qui laisse penser que la prospérité générale d’un pays n’est que la somme des richesses individuelles. Ce sont tous ces foyers d’infection qu’il faut éradiquer si l’on ne veut pas qu’au prochain incident la maladie ne reprenne et dégénère.
Une crise économique complexe
Habituellement, lorsque l’on parle de crise on s’intéresse soit à l’offre soit à la demande. En cas de «choc» de l’offre, on propose une relance sectorielle grâce à une politique budgétaire bien ciblée ; en cas de crise de la consommation on stimule la propension à dépenser par une politique monétaire accommodante. Le problème, cette fois-ci est que nous ne sommes ni en présence d’un pur choc de l’offre, ni dans une panne généralisée de consommation. On est en face d’une double crise : un choc de l’offre qui concerne essentiellement les produits et services de première nécessité ainsi que les productions intermédiaires et un effondrement de la demande qui impacte en premier l’énergie, les services du transport, du tourisme et de l’hôtellerie ainsi que des biens et services moins indispensables.
Les manières de produire les biens et les services révèlent leur fragilité mais aussi leur nocivité, mettant en péril le bien commun
La cause de ces difficultés n’est pas la même non plus. Le choc de l’offre est essentiellement dû à un absentéisme forcé du personnel – le télétravail ne peut pas être envisagé pour toutes les activités – ainsi qu’à des difficultés dans les approvisionnements et les livraisons. L’effondrement de la demande résulte d’abord de la peur de contracter le virus et de la désertion des points de contact (les marchés). Si, lorsque le confinement prendra fin, on peut espérer un redémarrage rapide de la demande pour les biens et services essentiels, il n’en sera probablement pas de même en ce qui concerne le tourisme et l’hôtellerie. Si rebond de l’économie il y a, celui-ci sera beaucoup moins prononcé qu’après les crises antérieures car celle-ci n’a pas seulement provisoirement cassé la confiance dans un phénomène monétaire mais a d’abord cassé la confiance dans la circulation des personnes. La santé économique et financière n’est pas à l’origine de la crise ; son mauvais état a simplement joué le rôle de facteur aggravant en favorisant la contamination de tous les membres. Ce qui rend la crise encore plus complexe, c’est que tous les membres n’ont pas été touchés de la même manière, ce qui fait qu’ils devront être soignés différemment les uns des autres. Le primat de l’économie sur la politique a atteint ses limites.
Une crise révélatrice de maux plus profonds
Selon les secteurs d’activité, cette crise révèle des maux de différentes natures. Dans le domaine industriel, l’éclatement des chaînes de production et la gestion en flux tendus, s’ils permettent de faire baisser certains coûts, rendent aussi la production tributaire de ce qui se passe à l’étranger. Ils conduisent à une perte d’indépendance et dans la mesure où les phénomènes touchent des secteurs stratégiques (Santé, Défense…) ils portent directement atteinte à la souveraineté nationale. On savait qu’ils étaient une cause du chômage de masse (dont on cherchait à masquer le drame derrière des allocations de plus en plus réduites), on découvre qu’ils mettent en danger le fondement même du bien commun.
L’importance prise par l’industrie des loisirs est telle que son arrêt, même provisoire, met en précarité un très grand nombre de personnes. Mais il révèle aussi combien elle est source de pollution. Les images de la terre prises par satellite depuis l’arrêt de nombreux transports aériens montrent que les nuages de gaz toxiques se sont en partie dissipés. On savait qu’un afflux de touristes dégradait sensiblement les sites visités, on a la preuve que leurs déplacements abiment sensiblement la qualité de notre environnement…
Globalement le système actuel est maintenu sous perfusion permanente par les banques centrales qui inondent la terre de fausse monnaie en prêtant aux banques commerciales des sommes qui ne sont pas véritablement utiles pour l’économie réelle mais viennent faire enfler artificiellement la valeur des actifs financiers. Les perspectives de perte de chiffres d’affaires des grandes entreprises a fait chuter le prix des actions, entraînant, dans leur sillage tous les «véhicules» financiers inventés par les opérateurs de marché pour participer au grand casino de la Bourse. Or pour acquérir ces titres que l’on voyait toujours monter, les «investisseurs» se sont tous plus ou moins endettés. Mais si la valeur de ces titres a chuté, le montant des emprunts contractés, lui, n’a pas varié. Beaucoup ne pourront donc pas être remboursés, risquant d’entraîner dans leur chute les banques les plus actives dans ce secteur.
Quant aux finances publiques, déjà mises à mal par une politique de fuite en avant pratiquée sans discontinuer depuis de nombreuses années, elles laissent apparaître un déficit abyssal qui sera difficile à combler. Jusqu’à présent, les hommes politiques promettaient tous, les uns après les autres, que l’État pourrait rembourser ses dettes lorsque la croissance repartirait. Demain ! Face à la crise, le gouvernement a, une nouvelle fois, choisi de privilégier l’instant présent en accroissant encore les dépenses. Comme l’horizon, le retour à la croissance s’éloigne au fur et à mesure que l’on avance. La crise met en évidence que l’homme n’est pas tout puissant et donc que la croissance ne se décrète pas. Les ressources du pays ne sont pas infinies. Pour sortir de la crise, il va falloir faire des choix et ces choix ne sont pas d’abord économiques, ils sont essentiellement politiques. Ils supposent un gouvernement fort, capable de faire des choix douloureux, ce qui suppose qu’il jouisse de la confiance totale de la population.
François Schwerer