On le sait : il n’y a pas de loi scientifique pour savoir avec certitude, sans commettre d’impair, si un jeune est sur le point de se radicaliser. La diversité des profils survenus et étudiés de par le monde depuis plusieurs années nous prouve que le phénomène peut toucher n’importe quelle famille : musulmane ou non, pratiquante ou non, garçon ou fille, diplômée ou pas, etc. Mais souvent face à l’inconnu, nombre de familles se sont retrouvées désemparées face à un fils ou une fille, qui pouvait soit effectuer un retour à la religion, soit se radicaliser. Comment faire la différence lorsque l’on se sent seul ? Comment ne pas se tromper ? Comment parler à son enfant ? Quels mots utiliser ? Quelles attitudes fuir pour ne pas perdre définitivement son jeune avant qu’il ne sombre dans l’extrémisme violent, qu’il soit de l’ordre du djihadisme ou de tout courant émergent comme l’ultra-droite ou l’ultra-gauche ? Nous avons eu jusque-là nombre d’outils, grilles de lectures vite périmées, capsules vidéos, ateliers de prévention.
Ce n’est pas parce que Daech a disparu sur les territoires de Syrie et d’Irak, qu’il ne continue pas à se diffuser dans les esprits de milliers d’individus
L’intelligence artificielle pourrait-elle désormais servir à prévenir des dérives radicales d’un jeune dans un contexte où l’internet est partout ? A l’heure où l’idéologie extrémiste de Daech s’est largement diffusée par les canaux du web mondial, et dans un contexte plus calme actuellement, la technologie pourrait probablement nous aider à appréhender rapidement le phénomène complexe de radicalisation menant à l’extrémisme violent par le biais d’un tout nouvel outil pédagogique de sensibilisation. Car c’est dans ce contexte actuel d’apaisement, que l’idéologie continue à se diffuser – ce n’est pas parce que Daech a disparu sur les territoires de Syrie et d’Irak, qu’il ne continue pas à se diffuser dans les esprits de milliers d’individus. [1]
Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux et ancienne directrice du CPDSI retournée par la suite à son cabinet d’expertise [2], après avoir assuré le suivi des 1 000 premiers jeunes Français qui voulaient rejoindre Daesh [3] sous mission ministérielle entre 2014 et 2016, a mis au point avec la société de réalité virtuelle JIN, un pitchboy appelé «Théo» [4] qui permet grâce à l’intelligence artificielle et des lunettes autonomes de s’immerger dans le quotidien d’un jeune en prise avec l’idéologie radicale. Actuellement en test en Belgique avec l’association de prévention SAVE Belgium (Society Against Violent Extremism), présidée par Saliha Ben Ali, dont le fils n’a pu hélas être arrêté à temps avant de partir pour la mort en Syrie, l’outil devrait être progressivement mis à disposition des écoles et des services de protection de la jeunesse, comme des familles concernées, en France à titre gratuit. Une version de base de cette simulation a été produite, sur la base d’un scénario classique de processus de radicalisation d’un jeune, par l’équipe de Dounia Bouzar, mettant en scène le jeune Théo qui confronté à un proche virtuel réagit positivement ou négativement aux réponses du testeur. Grâce à la réalité virtuelle et ses algorithmes, Théo entre en conversation dans cette expérience avec la personne qui porte les lunettes : selon l’intonation, les mots employés, la capacité d’écouter et de rassurer, l’utilisation d’arguments forts, Théo peut revenir ou au contraire s’enfuir rejoindre un groupe djihadiste. A l’issue de l’expérience, l’intelligence artificielle conclut si l’expérimentateur a été suffisamment convaincant et convaincu face à Théo pour arriver à retisser du lien avec lui. Ou pas.
Nous avons décidé de créer Théo pour que les gens vivent la difficile expérience de se retrouver face à un jeune qui n’a plus confiance en l’humain
Les deux entreprises, Bouzar-expertises et JIN, ont repris la technologie de réalité virtuelle habituellement utilisée pour former des managers par les grandes entreprises, pour proposer bénévolement cet outil dans l’intérêt public, estimant que de nombreuses personnes élaboraient quantité de théories et de grands discours sans avoir jamais parlé à un djihadiste… «Quand JIN nous a offert ce procédé, nous avons décidé de créer Théo pour que les gens vivent la difficile expérience de se retrouver face à un jeune qui n’a plus confiance en l’humain, en la société, et qui est persuadé que tous ceux qui ne veulent pas imposer la loi divine pour régénérer le monde corrompu sont payés par des complotistes pour les détourner du droit chemin !», explique Dounia Bouzar. «Il fallait leur faire vivre la complexité de la problématique. On ne peut pas raisonner un jeune pro-djihadiste. Il faut d’abord le rassurer, reconnaître sa volonté de changement, puis ensuite, faire en sorte qu’il comprenne qu’il peut choisir d’autres types d’engagements pour changer le monde, compatible avec le contrat social. Alors seulement, on peut discuter avec lui. D’autre part, on a aussi conçu Théo pour que les gens apprennent à faire la différence entre ce qui relève de l’islam et ce qui révèle un début de radicalisation djihadiste.»[5]
Profil classique d’un jeune converti à l’islam qui vient de subir la perte brutale de son père, qui se pose quantité de questions sur la mort, sensible aux arguments du complotisme et paranoïaque, Théo pourrait être n’importe quel enfant. Il est pour le moment l’acteur d’un premier scénario, ouvert au public pour se perfectionner et s’approfondir. En effet, les 2 entreprises sont prêtes à reprendre leur travail bénévole commun en fonction de la demande et des retours des professionnels de terrain, des associations de prévention, des établissements scolaires, des familles… Tous ceux qui veulent protéger les adolescents de diverses idéologies extrémistes qui savent particulièrement bien toucher les adolescents.