A la veille des élections générales (Diète et Sénat) qui se sont déroulées le 13 octobre en Pologne, tant la majorité sortante que les oppositions s’accordaient au moins sur un point : ce scrutin allait être le plus important depuis 1989, car il déterminerait non seulement qui allait gouverner pendant les quatre prochaines années, mais aussi le modèle que devrait adopter le pays à long terme. En l’occurrence : ou bien une «démocratie libérale occidentale» conforme au profil préconisé par l’UE, ou bien un système basé sur un pouvoir fort (certains disent «autoritaire»), sur un Etat providence puissant, et sur des valeurs centrées autour de la famille et de la nation.
La victoire écrasante du PiS (Parti Droit et Justice, conservateur) sortant a permis à ce dernier d’annoncer qu’il allait mener une nouvelle étape de son action entamée il y a quatre ans, ce qui s’inscrit dans la seconde perspective. Certes, ce succès était attendu, mais avec 43,8% des suffrages, les amis de Jaroslaw Kaczynski, l’homme fort du PiS, s’assurent à nouveau la majorité absolue à la Diète (ce qui était l’incertitude du scrutin) et progressent même de 6,2 points par rapport à leur score de 2015.
Quatre autres partis seront représentés au Parlement, à commencer par la plateforme KO (coalition civique) formée autour du parti PO (plateforme civique, droite libérale), éternel rival du PiS, qui a attiré 27,2% des électeurs. Concourrant seul en 2015, PO avait obtenu 24,1% des voix.
Pour sa part, la coalition baptisée «Gauche démocratique» (avec notamment les sociaux-démocrates) rassemble 12,5% des suffrages, un gain de 5 points qui permet à celle-ci de réintégrer les bancs de la Diète. De son côté, le parti agrarien PSL passe de 5,1% à 8,6%.
Enfin, avec 6,8%, une nouvelle formation siègera à la chambre basse : la Confédération Liberté et Indépendance, classée à l’extrême droite, a mobilisé sur la base d’un mélange libertarien d’ultra-libéralisme (suppression des impôts et des cotisations sociales) et de nationalisme exacerbé.
Les dirigeants du PiS peuvent d’autant plus se réjouir que leur parti a non seulement fait le plein dans son bastion traditionnel – la Pologne de l’Est, plus pauvre, plus rurale, plus traditionaliste – mais aussi dans les régions situées à l’ouest et au nord, souvent décrites comme la Pologne riche et moderne. La KO ne devance le PiS que dans quatre grandes villes (dont Varsovie), et doit s’incliner même dans ses fiefs, notamment les régions frontalières de l’Allemagne.
En outre, les enquêtes montrent que le PiS est en tête dans toutes les classes d’âge, y compris donc les plus jeunes. Une partie de sa campagne s’appuyait sur la défense des «valeurs traditionnelles», par exemple en mettant à l’index les revendications homosexuelles.
Ce sont surtout trois facteurs qui ont assuré son succès. A commencer par de réelles mesures sociales prises depuis quatre années, dont l’allocation de 500 zlotys (120 euros environ) accordée pour chaque enfant dès le deuxième, la hausse des traitements des fonctionnaires, ainsi que l’abaissement de l’âge de la retraite (65 pour les hommes, 60 ans pour les femmes), précédemment augmenté par PO. Lors de l’adoption de cette réforme en 2017, le quotidien Ouest-France, par exemple, notait : «pas sûr qu’elle résiste à la réalité budgétaire et au droit européen». Bruxelles a effectivement fait grise mine mais les bons chiffres de l’économie polonaise (qui est restée hors de la zone euro) ont permis au PiS de promettre de nouvelles mesures telles que l’extension au premier enfant du bonus familial et l’augmentation très substantielle du salaire minimum.
Un président de chambre du commerce régionale confiait récemment à une délégation de patrons français, mi-ironique, mi-accablé, que le problème avec le PiS, c’est qu’il tenait ses promesses… De nombreux électeurs font également crédit à ce parti de la remise en place de services publics : lignes ferroviaires rouvertes, autocars interurbains relancés, commissariats de police installés...
Le deuxième élément qui a contribué au succès des conservateurs est leur campagne défendant la dignité de ceux qui se sont sentis méprisés et humiliés par l’opposition libérale, et plus généralement par les élites au pouvoir pendant un quart de siècle après la chute du socialisme. Une sorte de vote de classe : dans le monde ouvrier et rural, on n’a pas oublié comment le PO (et précédemment la social-démocratie) ont imposé la mondialisation et l’intégration européenne, quels que soient les dégâts sociaux, et tant pis pour les «perdants qui ne savent pas s’adapter».
Enfin, le troisième facteur réside dans les réseaux et le maillage étroit dont dispose le PiS : l’Eglise, qui, dans de nombreux endroits, n’a pas caché quel était le «bon» choix électoral, mais aussi de nombreux syndicats, comme Solidarnosc, qui se sont investis dans la campagne (alors même que PO revendique aussi l’héritage de 1989).
C’est donc moins à des raisons idéologiques qu’à des motivations sociales et économiques que le PiS doit sa victoire. Il peut cependant se sentir conforté dans son ambition de transformer le pays en profondeur, au grand dam des Libéraux et de l’intelligentsia souvent proche de ces derniers, et qui aujourd’hui ne cachent ni leur dépit, ni leur découragement : le libéralisme «à l’occidentale» n’est pas près d'avoir l’hégémonie en Pologne. Et il est peu probable que l’élection présidentielle, prévue au printemps prochain, inverse la tendance.
A noter que la question de l’immigration a occupé peu de place dans la campagne (pas plus que la politique étrangère ou l’Europe). Et pour cause : c’est plutôt l’émigration, depuis deux décennies, de millions de travailleurs (en particulier des jeunes) qui marque cette économie désormais en forte croissance (et qui a de ce fait attiré entre un et deux millions d’Ukrainiens).
Cependant, on notera une évolution notable par rapport à la législature précédente : trois des forces d’opposition représentées au parlement comptent dans leurs rangs des députés moins agressifs vis-à-vis de Moscou que ne l’est la diplomatie officielle de Varsovie, obsessionnellement anti-russe. C’est le cas du PSL (des secteurs paysans souffrent des sanctions infligées par l’UE à Moscou), mais aussi certains élus de la Confédération, de même qu’une partie de la gauche.
Surtout, à Bruxelles, on a toutes raisons de s’inquiéter : M. Kaczynski et ses amis peuvent se sentir confortés et ce… trois jours après que la Commission eut une nouvelle fois traîné Varsovie devant la Cour de justice de l’UE pour «atteinte à l’Etat de droit». En cause : de nouvelles réformes de la justice accusées de mettre en cause l’indépendance de cette dernière.
Certes les dirigeants polonais reconduits ne remettent absolument pas en cause le principe de l’UE, pas plus qu’ils ne souhaitent en sortir. Ne serait-ce que pour garder les dizaines de milliards de fonds européens qui sont versés à Varsovie. Mais le PiS rêve, un peu à l’instar du premier ministre hongrois, d’influer en faveur d’une Europe chrétienne et conservatrice, où les nations garderaient une marge de souveraineté. Une aspiration qui continuera à entrer de plus belle en collision avec l’état d’esprit bruxellois.
Dans ce contexte, l’actuel président du Conseil européen, subit une humiliation : Donald Tusk, lui-même ancien premier ministre polonais, et qui s’était engagé dans la campagne avec PO, son parti d’origine, doit constater que la majorité gouvernementale sortante, son adversaire, non seulement est reconduite, mais améliore notablement son score, qui plus est moyennant une participation considérablement accrue (61,2% soit +10,2 points).
Vraiment une rareté au sein de l’Union européenne…