La politique se meurt, la politique est morte. Mais non. Fake news. Ce sont les politiques, comme on les pratique et comme ils se vivent, qui vont de moins en moins bien. Depuis des années, en effet, comme ils font leurs dénis, ils se couchent. Ils n’ont pas voulu voir que la représentation parlementaire, voire présidentielle, l’un des fondements de la démocratie, est devenue peu à peu un théâtre d’ombres sur la scène duquel les marionnettistes ne tiennent plus grand compte des spectateurs. Sécession des élites, en leur oubli volontaire et organisé des populations soi-disant non productives à qui, faute de pain et d’avenir, on propose de la brioche et du minimum vital. Un peu partout, en Europe en particulier, et jusqu’aux frontières de l’Occident, des millions de laissés-pour-compte, d’invisibles et de «gens de peu» ne se demandent même plus à quelle sauce ils sont mangés puisqu’on leur a expliqué qu’au fond ils ne servent pas à grand chose mais que dans leur grande générosité et leur indéfectible humanisme, les princes qui nous gouvernent ne vont pas leur indiquer tout de suite le chemin des abattoirs. Ils continueraient à être nourris, logés, blanchis, à la condition expresse qu’ils rabotent définitivement leurs exigences et qu’ils se contentent de survivre.
Et voilà-t-il pas que ça et là, des brèches apparaissent, des failles se creusent, des coups de canifs se multiplient dans les contrats léonins qui régissent le système. Un humoriste italien, Beppe Grillo, crée le mouvement Cinq Étoiles et organise un VaffanculoDay. Déjouant tous les pronostics, sondages et autres clichés plus ou moins avariés, il conquiert en quelques années un électorat qui, aujourd’hui, avec la Ligue de Matteo Salvini, a pris le pouvoir dans la péninsule. Ce qui aurait été considéré comme une impossibilité délirante il y a encore quelques années.
Et il y a quelques jours, en Ukraine, un humoriste qui n’avait jamais touché à la politique et ne brillait que dans les séries télévisées et le one man show, remporte la présidence de la république avec 73% des votants. À des milliers de kilomètres de là, il y a plus de deux ans, un magnat de l’immobilier qui lui non plus n’avait jamais fait de politique active et se partageait entre les caméras de la téléréalité et les milliards de dollars par lui investis dans la construction de gratte-ciels, remporte, contre toute attente, et contre la quasi totalité des médias, les élections présidentielles américaines. Un peu plus au sud, fatigués de la corruption et surtout de l’insécurité quotidienne, les Brésiliens ont plébiscité un ancien général, à la surprise catastrophée des sachants, experts et autres spécialistes auto-proclamés de phénomènes qu’ils n’ont même pas vu venir. Si l’on complète le tableau avec l’Europe de l’Est qui célèbre sa liberté retrouvée en faisant de la Frontière, jadis considérée comme une régression frileuse, le concept essentiel de leur survie, et d’une Angleterre qui ne sait plus à quel Brexit se vouer, force est de constater qu’un grand basculement a commencé : celui du retour des peuples. Il ne s’arrêtera pas.
Les raisons de cet ébranlement des plaques tectoniques, on les connaît : une mondialisation heureuse pour les uns, tragique pour d’autres. Libre circulation des hommes et des armes, de l’argent et des produits, lutte de tous contre tous dans les eaux glacées du calcul égoïste, comme l’écrivait l’ancêtre Karl Marx. Diminution incontestable et bienvenue de la pauvreté dans les pays dits du Tiers monde, prospérité foudroyante des élites productives des grandes métropoles planétaires, où se situent toutes les innovations et les créations startuppeuses des nouveaux territoires de la ruée vers l’or ; migrations de masse, voulues par les uns, subies par les autres ; fuites aussi éperdues que luxueuses dans les paradis fiscaux de la part de ceux qui protègent leurs fortunes et leurs manoirs à l’aide de hauts murs et de polices privées ; glorification, par ceux qui considèrent le monde comme leur résidence principale, du nomadisme, du multiculturalisme, de la perte d’identité considérée comme l’un des beaux-arts. Les nouveaux maîtres de l’univers prônent évidemment la société ouverte, l’accueil permanent sans quotas ni filtres, l’Occident comme passoire et l’Europe comme maison de tolérance. Qu’importent les malaises dans la civilisation pourvu que les salaires restent les plus bas possibles. Une nouvelle lutte des classes naît ainsi qui n’oppose plus gauche et droite réconciliées depuis longtemps dans la soumission aux lois de la finance, mais ceux d’en haut et ceux d’en bas. Toute la question désormais est de savoir si les premiers sauront tendre la main aux seconds afin que ceux-ci ne se transforment pas en bombes à retardement.
Aujourd’hui, nous sommes entourés d’hommes et de femmes qui ne savent plus où ils habitent, qui ont perdu leurs repères et qui se demandent si leur avenir et surtout celui de leurs enfants sera fait de sang, de sueur et de larmes, ou des couleurs arc-en-ciel d’un horizon encore possible. Une chose est sûre, ils ne se tairont plus. Et ne se terreront plus.