Il était bon que les princes qui gouvernent le monde se retrouvent sur les Champs-Elysées pour célébrer le centième anniversaire de l’Armistice qui mit fin à l’une des plus grandes hécatombes du XXème siècle.
Il est sain que Paris accueille, dans la paix, les célébrations nécessaires de la mémoire, de l’héroïsme et des sentiers d’une gloire si durement conquise. Mais revenons en France : Emmanuel Macron clôt ainsi quelques jours d’un hallucinant parcours où, à plusieurs reprises, on eut l’impression qu’il avait perdu un Nord qu’il cherchait désespérément à convaincre.
Le «Macron Tour» fut en effet un comprimé chauffé à blanc de tout ce qui caractérise le personnage, pour le meilleur et pour le moins bon. Force est de reconnaître que si l’actuel président fut étincelant dans sa conquête du pouvoir, volant de clocher en clocher jusqu’à l’Elysée, faisant en sorte que les partis s’effondrent sous la charge de sa brigade légère du nouveau monde, sa gestion des affaires, en revanche, s’est transformée, à l’insu de son plein gré, en course d’obstacles sur fond de hargne, de grogne et de rogne.
L'inventaire loufoque d’un Monsieur Bricolage hilare, fonction que l’on croyait jusqu’ici exclusivement réservée à son prédécesseur.
De Verdun à Charleville-Mézières, ce fut le festival des «Je t’aime, moi non plus». Alors que le parcours présidentiel était destiné à refaire France, à rappeler son identité, sa vocation, les sacrifices et les grandeurs de ses patriotes ; alors qu’il s’agissait avant tout de rassurer, d’encourager, de réchauffer une nation qui ne sait plus où elle habite, des hommes et des femmes pris d’inquiétude sur leur avenir, des vieux qui se demandent si on les a définitivement abandonnés et des jeunes qui partent en vrille, on a eu affaire à un catalogue de propositions plus ou moins sensées, l'inventaire loufoque d’un Monsieur Bricolage hilare, fonction que l’on croyait jusqu’ici exclusivement réservée à son prédécesseur.
Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Circulez, il n’y a rien d’autre à voir que les stars de la planète accourues à Paris, la plus belle vie du monde, of course
Le pouvoir tire et taxe tout ce qui bouge : le carburant au nom de l’écologie ; la CSG au nom de la justice sociale ; les retraites au nom du travail ; la vitesse au nom de la vie et ainsi de suite, entre deux pauses dans un bar empli de militants fidèles, ou dans une usine où insultes et noms d’oiseaux croissent et se multiplient. Les «gilets jaunes» qui préparent la grande fronde du 17 novembre se voient écarter sans ménagement par la maréchaussée. Les anciens combattants qui demandent à ce que l’on arrête l’invasion migratoire se voient répondre par l’affirmative, mais n’en croient pas un mot. La communication élyséenne habille ces polémiques du manteau blanc de la bravoure : le président n’a pas eu peur d’aller écouter les Français, d’entendre leurs doléances, il a compris, il en tire les leçons, et le peuple a vu qu’il ne reculait devant aucun affrontement. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Circulez, il n’y a rien d’autre à voir que les stars de la planète accourues à Paris, la plus belle vie du monde, of course.
Reste que l’épisode laissera des traces. A courir plusieurs lièvres à la fois, à segmenter par rapport aux divers publics, communautés, minorités, clans, corporations, l’on se condamne forcément à brouiller le message. A négliger l’hommage nécessaire, capital, aux morts de la Première Guerre mondiale, à oublier de l’actualiser pour formuler, en 2018, ce que peut et doit être l’identité de la France, on en arrive à soliloquer à côté de la plaque. Et à laisser un pays qui compte aujourd’hui 65 millions de sujets dans l’accumulation des sujets de mécontentement. L’impression générale est, hélas, que le compte n’y est pas, que la douceur des paroles masque mal une certaine brutalité dans les actes et qu’à l’ombre des mythiques Liberté, Egalité, Fraternité on risque de côtoyer de plus en plus Frustration, Insatisfaction, Déception. Il est minuit, Docteur Macron.
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