Le 11 novembre 2018, des dizaines de chefs d'Etat se retrouvent à Paris pour commémorer l'armistice de la Première Guerre mondiale. 100 ans plus tard, où en est le monde ? Le journaliste Denis Tillinac apporte des éléments de réponse.
100 ans après l’armistice signé à Rethondes, l’Histoire semble nous défier. Les traités imposés par les alliés ont mis fin à l’empire ottoman, mais Erdogan le ressuscite à sa manière. Atatürk et sa laïcité n’auront-ils été qu’un entracte ? La Russie de Staline a reconstitué sous l'appellation URSS l’empire des tsars écrasé à Tannenberg. L'URSS s’est à son tour effondrée en 1989, mais Poutine la reconstitue à sa manière avec le concours du clergé orthodoxe. L’internationalisme communiste n’aura été qu’une parenthèse. De même, la bipolarisation est-ouest, supplantée par l’antagonisme entre l’Amérique et la Chine. Les Américains n’étaient intervenus qu’en 1917, et en 1941 lors du second conflit mondial : Trump renoue avec leur tentation isolationniste. Son alliance avec les Saoudiens et les Israéliens, son hostilité à la Perse sont-elles ou non réversibles ? On ne le sait pas. Ce que ressentent les peuples occidentaux en 2018, c’est une précarité des alliances, la plus perceptible étant celle qui échoue à fédérer les pays de l’UE. Les slaves – Polonais en tête - ont choisi de se prémunir de la Russie en s’abritant derrière l’OTAN. L’Autriche et la Hongrie, solidaires contre le pouvoir bruxellois, nous rappellent que l’empire des Habsbourg, défunt depuis les traités de 1919, renaît peut-être sous une autre forme.
Bousculés par la mondialisation, les peuples cherchent leur identité. Réunifiée après l’effondrement de l’URSS, l’Allemagne domine l’UE par le truchement de son dynamisme commercial et d’une politique de la BCE conforme à ses vœux. Mais la France renâcle : elle dispose de l’arme nucléaire, d’un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU et le rêve gaullien d’indépendance n’est pas mort. Le sera-t-il un jour ? Macron l’espère, l’essor des votes « populistes » et eurosceptiques (Le Pen, Dupont-Aignan, Mélenchon) permet d’en douter.
Les peuples ont peur d’une mondialisation qui se traduit par des flux migratoires incontrôlables, et une guerre économique de chacun contre tous déstabilisante. L’islamisme politique, apparu avec l’intervention américaine en Irak, mais qui reflète une quête identitaire dans un Proche-Orient déboussolé, a fait resurgir l’antique clivage entre chiisme et sunnisme. Trump a-t-il raison de miser sur le sunnisme wahhabite ? Poutine de soutenir Assad ? Les Etats-Unis, polarisés par la zone Pacifique, vont-ils définitivement tourner le dos à la vieille Europe ? Rien n’est moins sûr. Poutine se rapprochera-t-il de l’UE ou de la Chine ? Trump ne sera plus à la Maison-Blanche dans six ans - ou dans deux ans s’il est battu au prochain scrutin présidentiel. Tandis que Xi Jinping, sauf accident, régnera pendant encore dix ans ou davantage. Le temps joue contre les démocraties où la légitimité des gouvernants est toujours sujette à caution.
Bref, l’avenir se hérisse de points d’interrogations, tous anxiogènes. Une seule réalité émerge : la pérennité des nations, petites ou grandes, enracinées dans une longue mémoire : la Chine, la Perse, la Russie, la Turquie, le Japon, les Etats Unis - mais aussi la France, l’Angleterre, la Pologne. L’Inde immémoriale n’est encore qu’un agglomérat et les grands pays émergents (Brésil, Mexique) sont en crise. Les vieux pays sont de plus en plus profondément divisés - et des réflexes de repli identitaire apparaissent partout (l’Ecosse, la Catalogne, etc.), avec comme conséquence des crispations communautaristes. L’islam en est souvent le ciment. Mais jusqu’à quand ?
Méfiance donc : cent ans après l’armistice de Rethondes, le monde géopolitique présente des similitudes avec les désordres des années vingt ou trente. L’apparition de nouveaux Etats–nations inégalement viables a révélé qu’aucune frontière n’est acquise (les 14 pays de l’ancienne URSS, ceux de l’ancienne Yougoslavie, le Sud-Soudan, l’Erythrée, l’ancien Somaliland, etc.). Celles de l’Irak et de la Syrie vont sans doute se déplacer - et l’hypothèque Kurde va continuer de peser.
Restent tout de même la supériorité militaire des USA, le potentiel économique de la Chine - et, pour une durée indéterminée, la sourde expansion de l’islamisme comme seule alternative au capitalisme mondialisé. Reste la puissance des multinationales, GAFA y compris. Reste, partout, la menace d’un nihilisme qui fleurit sur les ruines des anciennes religions, des anciennes coutumes, érodées par le prométhéisme technicien et le règne des forces de l’argent qui, fatalement, sera lui aussi contesté. Sous quelles formes ? Impossible de le dire. On sait seulement qu’aucun ordre mondial cohérent ne se profile. D’où les peurs, toujours mauvaises conseillères.
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