Dans la perspective du Conseil européen de fin juin, la chancelière allemande a fait des concessions mineures en matière d’intégration monétaire, très loin des ambitions initiales du président français.
Elle a bougé ! A l’Elysée, on s’est ostensiblement réjoui de l’entretien qu’a accordé la chancelière allemande à l’édition dominicale (03/06/18) du grand quotidien proche des milieux d’affaires, le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Angela Merkel y a abordé plusieurs des thèmes sensibles qui sont à l’ordre du jour du Conseil européen des 28 et 29 juin.
Politique commune d’asile, de migration, frontières extérieures de l’UE, Europe militaire : sur ces points, Paris et Berlin convergent peu ou prou (encore que sur ce dernier thème, les contradictions restent latentes). Mais c’était bien sûr sur le plan économico-monétaire que Mme Merkel était attendue par Emmanuel Macron. Depuis un an, le président français a revêtu le costume du meilleur élève européen (attaques brutales contre les dépenses publiques, réformes du droit du travail et du rail…). Et espérait donc être payé de retour par un volontarisme allemand en faveur du renforcement de l’intégration européenne.
Hélas pour lui, la chancelière, qui a laborieusement reformé une «grande coalition» après des mois de palabres avec les sociaux-démocrates, reste affaiblie sur la scène politique intérieure après le scrutin de septembre 2017, et donc sous pression des «faucons» de son propre parti. Ceux-ci ont moins que jamais l’intention de partager la prospérité de l’économie d’outre-Rhin (qui n’est pas la prospérité du monde du travail) avec les «partenaires européens». A fortiori au moment où une coalition pour le moins hétérodoxe et ayant promis d’être particulièrement dépensière arrive au pouvoir à Rome.
Feuille de route
Pourtant, il lui était difficile de rester totalement sourde aux appels du président français, sauf à risquer l’affrontement entre les deux capitales lors du sommet de fin juin. «C’est maintenant où jamais», avait même lancé le ministre français des finances à son homologue allemand lors d’une rencontre mi-mai. Les deux hommes vont désormais accélérer le mouvement en vue d’une «feuille de route franco-allemande» pour «approfondir l’intégration» de la zone euro, une réforme sans laquelle la monnaie unique ne manquera pas d’exploser, avait même alerté Bruno Le Maire. Ce document pourrait être présenté le 25 juin, quelques jours après une rencontre prévue le 19 à Berlin entre madame Merkel et monsieur Macron, avant d’être avalisé par le Conseil. Du moins est-ce l’espoir qu’on nourrit à Paris, dont les thèses, certes soutenues par la Commission européenne, sont loin de faire l’unanimité parmi les Vingt-huit.
Pour en arriver là, le maître de l’Elysée avait déjà dû faire son deuil de plusieurs ambitions qu’il avait formulées à la Sorbonne en septembre 2017. En matière monétaire, il avait d’emblée été rembarré sur son projet de «parlement de la zone euro», de même que sur celui d’un super-ministre qui aurait eu la main sur celle-ci au détriment des Etats membres.
Restait sa proposition de «budget propre à la zone euro». C’est notamment sur ce thème que la chancelière a semblé faire une concession. Conformément aux grandes lignes du «budget pluriannuel» 2021-2027 présenté début mai par Bruxelles (et dont l’adoption prendra des mois, voire plus d’un an), la chancelière accepte le principe d’une ligne budgétaire communautaire qui servirait aux investissements. Le président français voulait plusieurs centaines de milliards. Pour Berlin, cela ne devrait pas être plus de 20 ou 30 milliards pour un budget spécifique à la zone euro, ou bien même noyés dans le budget de toute l’UE.
La chancelière accepte aussi que 25 milliards environ puissent être mis à disposition des pays «bons élèves» pour les inciter à mettre en œuvre plus de «réformes structurelles». Une concession qui n’en est pas une, puisque Berlin avait naguère déjà évoqué ces «contrats» passés avec les gouvernements pour accélérer les réformes.
La dirigeante allemande propose un Fonds monétaire européen (FME)
Autre proposition de la dirigeante allemande : mettre en place un Fonds monétaire européen (FME), qui permettrait de s’autonomiser quelque peu par rapport au FMI. Ledit FME serait issu d’une transformation de l’actuel Mécanisme européen de stabilité (MES) mis en place dans l’urgence au début de la décennie pour prêter à l’Irlande et au Portugal qui ne pouvaient plus accéder aux marchés financiers.
Ce FME, selon la chancelière, prêterait des montants à long terme aux pays en panique financière (mais seulement si la stabilité de la zone euro dans son ensemble était menacée) en échange de mécanisme de surveillance… et de restructuration de la dette publique. Cette intrusion supplémentaire dans la conduite des politiques économiques nationales étant naturellement le prix à payer pour cette aide secourable… et remboursable. Pour madame Merkel, des prêts à court terme (cinq ans) seraient aussi envisageables pour des pays victimes de circonstances extérieures exceptionnelles.
Merkel y a bien insisté : pas question que l’UE devienne une «union des dettes»
La plupart des observateurs ont noté que ces concessions étaient a minima, d’autant qu’Angela Merkel y a bien insisté : pas question que l’UE devienne une «union des dettes» dans laquelle Berlin deviendrait co-solidaire des «frasques» supposées des pays du sud (et, le cas échéant, de la France). Bref, on est très loin des ambitions initiales d’Emmanuel Macron.
Certes, la plupart des dirigeants de la zone euro se réjouissent officiellement que l’Union des marchés de capitaux et surtout l’Union bancaire progressent. Ce dernier processus, qui avait été lancé après la crise de 2008, est censé empêcher un cercle vicieux entre montée de l’endettement public et crise de la liquidité (voire de la solvabilité) bancaire, avec en perspective l’effondrement généralisé du système. Le «remède» mis en place passe par la mainmise communautaire, au détriment des Etats, sur les éventuelles restructurations (voire liquidations) des banques. Mais là aussi, tout n’est pas achevé : pour Berlin, la perspective d’une garantie généralisée des dépôts bancaires via des transferts entre pays membres ne peut s’imaginer qu’à long terme.
Abandon de souveraineté
Techniquement, le président français, de même que la Commission, ont raison : la monnaie unique ne peut survivre que si les paramètres économiques, sociaux, financiers, commerciaux convergent entre les Etats qui ont abandonné leur monnaie nationale. Cette convergence n’ayant rien de spontané, des contraintes d’austérité avaient d’emblée été mises en place pour que l’euro tienne : pacte de stabilité (assurant la baisse des dépenses et déficits), puis tous les outils de «gouvernance» (TSCG, etc…) ajoutés ces dernières années.
Mais cela ne suffit toujours pas. La survie de l’euro ne peut être assurée que par des abandons de souveraineté toujours plus importants. C’est ce que réclame Emmanuel Macron. Berlin n’est évidemment pas en désaccord sur le fond, mais veut prioritairement garder la main sur les grandes décisions et s’assurer que les intérêts de ses grands groupes ne sont pas mis en cause – notamment leur capacité exportatrice.
A ces facteurs économiques s’ajoute le contexte politique : l’exaspération populaire contre l’intégration européenne monte quasiment partout. Si sa traduction électorale prend des formes baroques ou ambivalentes, elle constitue un cauchemar croissant pour les dirigeants européens.
Jupiter n’est pas au bout de ses peines.