«On trouve normal qu'une part de notre information soit dans la main de multinationales américaines»

«On trouve normal qu'une part de notre information soit dans la main de multinationales américaines»© Damien MEYER Source: AFP
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La décision de Twitter d'interdire à RT de recourir à la publicité est pour l'économiste Olivier Berruyer «une étape de plus dans une reprise en main du net» qui pose en creux la question du rôle et contrôle de ces géants du web devenus omniprésents.

RT France : Que vous inspire la décision de Twitter d'interdire à tous les comptes liés à RT de faire de la publicité sur son réseau, outil que la plupart des médias utilise régulièrement ?

Olivier Berruyer (O. B.) : Au delà du cas particulier de Russia Today, c'est une étape en plus dans une reprise en main inquiétante d'internet. Ce qui est important, c'est le principe : Twitter s'arroge le droit d'aller empêcher un média d'augmenter la diffusion de ses articles, comme le font ses confrères. On peut critiquer tel ou tel article de ce média mais cela doit alors se faire dans l'espace public : c'est aux autres médias, aux blogueurs, aux citoyens d'analyser et critiquer les articles qui posent problème. 
Or, ici, on voit bien que la discussion ne porte pas sur tel ou tel article qui pourrait être problématique, il s'agit de l'ensemble des articles du média qui sont mis en cause. C'est donc un pas de plus vers une reprise en main d'internet à laquelle on assiste depuis le Brexit et l'élection de Donald Trump - moment dont j'estime qu'il correspondra probablement au maximum historique de la liberté d'expression et d'information sur internet. 


C'est de plus en plus inquiétant, puisque quelques structures privées – je pense surtout à Google, Twitter et Facebook – se mettent à jouer un rôle actif dans la diffusion ou la non diffusion de ce qui doit arriver jusqu'aux oreilles des citoyens. Et il n'y a aucun contrôle sur les actions de ces structures. Or cela reste avant tout des sociétés privées, qui existent essentiellement pour vendre de la publicité, mais qui sont en pratique quasiment des opérateurs de service public.

Il ne faut pas hésiter à porter un regard critique sur toutes les sources d'informations, mais il faut faire très attention à la problématique de la censure, qui prend une forme de plus en plus discrète avec les nouvelles technologies


Evidemment, Russia Today diffuse une vision russe, comme les autres médias présentent une vision généralement proche de leurs propres gouvernements –et qui ne sont pas en reste pour la diffusion de malinformation. Il ne faut pas hésiter à porter un regard critique sur toutes les sources d'informations, mais il faut faire très attention à la problématique de la censure, qui prend une forme de plus en plus discrète avec les nouvelles technologies : plutôt que d'interdire la diffusion d'une information, il suffit de la noyer parmi les autres et de ne pas lui faire de publicité.

Ce n'est donc pas le rôle des gouvernements ou de sociétés privées, uniquement là pour vendre de la publicité, de décider de ce que les citoyens peuvent voir ou non


Sur le cas particulier de Russia Today, la pudeur de Twitter est assez risible quand on voit que l'ensemble des grands médias mainstream ont tous essayé d'influencer l'élection présidentielle américaine, et qu'ils sont fous de rage de ne pas y être arrivés malgré (ou à cause de ?) leur unanimisme. De plus, les Etats-Unis ne se privent pas pour aller influencer élections et vie politique dans la plupart des pays de la planète. Enfin, on constate que d'autres pays, qui influent bien plus que la Russie sur la politique américaine ne sont jamais critiqués – l'Arabie saoudite par exemple... Il est donc assez surréaliste de voir de telles décisions, un tel deux poids, deux mesures. Le tout dans une espèce de délire anti-russe persistant. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas des choses à critiquer en Russie, mais la comparaison du traitement obsessionnel de ce pays avec d'autres est encore une honte pour nos médias. Le pire étant que cette hystérie fait que, mois après mois, on abat des pans importants de la liberté d'expression et d'information.


Le Brexit et l'élection de Donald Trump ont montré au pouvoir à quel point internet pouvait être dangereux pour sa propre propagande. Evidemment, on y trouve des âneries et des mensonges, mais il y a aussi de très bonnes choses. Ce n'est donc pas le rôle des gouvernements ou de sociétés privées, uniquement là pour vendre de la publicité, de décider de ce que les citoyens peuvent voir ou non. C'est aux citoyens d'en discuter.

Alors qu'ils sont de plus en plus discrédités, les grands médias sortent justement de plus en plus de leur rôle, censé être neutre


RT France : En quoi ce pouvoir des réseaux sociaux et moteurs de recherche est-il inquiétant selon vous ?

O. B. : C'est un problème de principe. On a des opérateurs qui sont en train de sortir de leur neutralité. Or s'ils ne sont plus neutres, la question qui se pose est : qui les contrôle ? Qui décide de ce qui est vrai et ce qui est faux, de ce qui est partiel et partial ? C'est parfois évident, mais c'est parfois plus complexe. Comme je le disais, l'attitude d'à peu près 95% des grands médias mainstream dans la campagne américaine a été stupéfiante. Cela les a fait sortir de leur rôle de médias, pour passer à un rôle de chargés de communication d'Hillary Clinton. Evidemment, on peut être pour ou contre chaque candidat, mais la question essentielle reste : quel est le rôle d'un média ? Il est intéressant d'ailleurs de voir qu'alors qu'ils sont de plus en plus discrédités, les grands médias sortent justement de plus en plus de leur rôle, censé être neutre.

RT France : Que pensez-vous de la dépendance de plus en plus forte des médias vis-à-vis des réseaux sociaux ?

O. B. : Disons que c'est la façon actuelle de consommer l'information, ce qui est une raison de plus de pouvoir contrôler ce que font Facebook, Twitter, Google et les autres. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Si on s'amuse à leur demander des comptes, ils vous expliquent que ce sont des sociétés privées, qui font donc ce qu'elles veulent. Mais leur prééminence fait qu'ils ne sont plus de simples opérateurs privés, ils ont un statut quasiment de service public. Il est hors de question à mon sens de laisser ces structures, privées et accessoirement américaines, décider de ce que le citoyen est autorisé à entendre ou non.

Aujourd'hui, comment marche l’algorithme de Google ? Personne n'en sait rien.

RT France : Qui pourrait justement contrôler ces géants du net ?

O. B. :  Il y a des possibilités assez larges. Il peut y avoir des hautes autorités indépendantes, cela peut être des citoyens, des chercheurs qui iront vérifier ce qui se passe dans l'arrière-boutique de ces structures. Aujourd'hui, comment marche l’algorithme de Google ? Personne n'en sait rien. Simple hypothèse : qui dit que demain, Google n'ira pas sciemment modifier son algorithme pour que les articles de RT arrivent en page 3 des résultats ? S'ils le font, spontanément ou à la demande de leur gouvernement, ils n'en diront rien mais vous constaterez que vous êtes mal classé. Vous ne pourrez pas vous plaindre, car ils vous diront qu'il n'y a pas de censure car vous êtes bien dans les résultats et que vous n'avez pas un «droit à être dans les premières pages». Mais quand on est dans la troisième page des résultats Google, on est quasiment mort car personne n'y va jamais. 


Bien sûr ce n'est qu'une hypothèse, mais elle reste possible, et il est impossible, pour le citoyen, de vérifier que ça n'arrive pas, C'est en réalité un immense problème, mais ce sujet n'est absolument pas débattu. On trouve normal qu'une part de notre information soit dans la main de multinationales américaines. Et c'est vraiment inquiétant...

Lire aussi : Twitter interdit la publicité à RT : une violation de l’éthique et de la liberté d’expression

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