RT France : Dans le statut d'autonomie élargie obtenu par la Catalogne en 2006, la région avait obtenu des avantages en matière de fiscalité, qui restait du domaine du régalien et de Madrid, avant que cet accord ne soit retoqué par le tribunal constitutionnel. Quelle place prend la question des taxes et impôts dans les velléités d'indépendance ?
Barbara Loyer (B. L.) : La fiscalité est un élément important de la frustration, parce que les communautés autonomes basques et navarraises jouissent d’un système plus avantageux, que les nationalistes catalans réclament depuis quelques temps.
La crise de 2008 et le sentiment qu’il y a plus d’investissements nationaux pour renforcer la région capitale que pour la Catalogne ont élargi les cercles des personnes qui s’engagent pour l’indépendance, qui passent d’un nationalisme bon teint à la volonté de se séparer. Depuis 1994, la Generalitat [gouvernement régional catalan] accuse le gouvernement espagnol de voler la communauté autonome en lui faisant plus payer pour le budget général qu’elle ne reçoit d’argent. On fait dire beaucoup de choses aux chiffres. Un économiste a expliqué que ce déficit était réel en temps d’embellie économique, mais qu’en temps de crise la Catalogne devenait bénéficiaire.
De même, il a été démontré que, selon les modes de calculs, Madrid et Barcelone sont en tête des contributeurs. Ce qui est logique : ce sont les régions les plus riches. Depuis la crise, le gouvernement contrôle plus étroitement les comptes des régions, pour interdire le déficit budgétaire – la règle d’or budgétaire a été introduite dans la constitution espagnole par le Parti populaire (PP) et le PSOE en 2011 – ce qui a aggravé les plaintes d’une classe politique nationaliste catalane souverainiste.
RT France : L'objectif de ce référendum est-il selon vous l'indépendance totale ou un poids accru dans les négociations avec Madrid pour revenir à un statut proche de celui de 2006 ?
B. L. : Sauf erreur, la sentence de 2010 ne censure pas des articles sur le système économique, mais sur l’indépendance de la justice catalane, la supériorité de la langue catalane, la déclaration unilatérale que la Catalogne est une nation (ce n’est pas dans la Constitution), sur la supériorité des lois autonomes… Il ne faut pas parler de «la Catalogne».
On ne sait pas comment vont se recomposer les partis après l’interdiction du référendum. Les électeurs d’extrême gauche sont divisés sur la question. C’est de leurs choix individuels que dépendront les résultats des prochaines élections, qui pourraient renforcer la majorité séparatiste ou l’affaiblir. C’est très difficile à prévoir. La société est cassée en deux. Voilà le principal résultat de cette tentative de sécession.
RT France : Madrid a accentué ces derniers jours la pression en interdisant la tenue de ce référendum. Mariano Rajoy a même décidé de ne pas se rendre à Tallinn au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne. Qu'a-t-il à perdre avec ce scrutin ?
B. L. : Si cela tourne mal, il peut perdre le pouvoir. Si la situation se calme , il peut en sortir renforcé. Cela dépend aussi de la réaction de l’extrême gauche et du Parti socialiste. Si le PS le lâche, les choses se compliquent, pas seulement pour lui, mais pour l’Espagne toute entière. Dans son parti, je ne sais pas comment on juge son action. En règle générale, l’opinion est qu’il a commencé à agir trop tard, qu'il n'a pas pris en compte que la tension montait et était dangereuse et qu’il fallait répondre plus tôt avec des investissements qui limitent les doutes d’une bourgeoisie catalane incertaine, mais aussi au plan de la communication sur ces investissements. De plus, le Parti populaire est aussi englué dans des affaires de corruption, comme la famille Pujol [Jordi Pujol, président de la Généralité de Catalogne jusqu'en 2003, sa famille, ainsi que certains cadres du parti Convergence démocratique de Catalogne (CdC), devenu aujourd'hui le parti démocrate catalan, sont au cœur de plusieurs scandales fiscaux].