Le nouvel effondrement que la côte de popularité d’Emmanuel Macron vient de subir est connu alors que le président de la République vient de commettre plusieurs impairs dans le domaine diplomatique, domaine considéré comme ô combien régalien.
1° Le premier de ces impairs concerne un pays, la Pologne, qu’unissent des liens centenaires avec la France. Il a donc été commis lors de la «tournée» (on admirera le mot qui renvoie au vocabulaire du spectacle et du comique-troupier) qu’il a réalisée dans les pays d’Europe centrale et orientale. On en connaît l’objet : Emmanuel Macron voulait convaincre ces pays de faire modifier le statut des «travailleurs détachés», statut qui sert en réalité à camoufler une concurrence particulièrement déloyale. Même si, sur ce sujet, Emmanuel Macron peut compter sur un relatif soutien de l’Allemagne, il reste peu probable qu’il obtienne ce qu’il était venu chercher. De nombreux pays d’Europe Centrale s’y opposent, et au premier chef la Pologne, mais aussi la Roumanie ou – pays dans lequel Macron ne s’est pas rendu – la Hongrie.
On pourra toujours gloser sur l’incohérence d’une politique qui d’un côté fait de l’Union européenne ce facteur d’une (douteuse) modernité à laquelle nous sommes sommés d’adhérer et qui, de l’autre, en dénonce les conséquences. Pourtant, si Emmanuel Macron a bien lu le traité de Lisbonne, il sait bien que la concurrence, «libre et non faussée» fait partie du patrimoine des institutions européennes. Or, soit la concurrence est libre, soit elle est «non faussée», mais elle ne saurait être les deux à la fois. Souvenons nous alors de cette phrase de Bossuet : «Mais Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer. Que dis-je? Quand on l’approuve et qu’on y souscrit, quoique ce soit avec répugnance.»
Sur le fond, l’attitude d’Emmanuel Macron montre qu’il n’a aucune connaissance de l’histoire des ces cinquante dernières années
L’impair est venu de la passe d’armes qu’Emmanuel Macron a eue avec le Premier ministre de la Pologne. Quoi que l’on puisse penser de Beata Szydlo, cette politicienne ultra-conservatrice qui dirige le gouvernement polonais, elle représente légalement et légitimement son pays. La déclaration d’Emmanuel Macron était donc parfaitement mal venue : «Le peuple polonais mérite mieux que cela et la Première ministre aura beaucoup de mal à expliquer qu’il est bon de mal payer les Polonais.»
Mme Szydlo a répondu à M. Macron sur la forme et le fond : «Je conseille à M. le président qu’il s’occupe des affaires de son pays, il réussira alors peut être à avoir les mêmes résultats économiques et le même niveau de sécurité de ses citoyens que ceux garantis par la Pologne. […] La Pologne est membre de l’Union européenne au même titre que la France. […] Ce n’est ni le président de la France ni aucun autre dirigeant qui décidera personnellement de l’avenir de l’Europe mais l’ensemble des membres de la communauté.»
Sur le fond, l’attitude d’Emmanuel Macron montre qu’il n’a aucune connaissance de l’histoire des ces cinquante dernières années. Les peuples des pays d’ex-Europe de l’Est ont trop souffert des abus du «grand frère» soviétique pour accepter qu’un autre pays, et ce quel qu’il soit, leur dise ce qu’ils doivent penser. Ne pas le savoir ou l’oublier, pour un président de la République, est chose particulièrement grave. La crise qui en a résulté dans les relations entre la France et la Pologne aurait pu être évitée. Elle affaiblit notre position non seulement dans ce pays mais plus généralement en Europe centrale.
2° Comme si cet impair ne se suffisait pas à lui-même, Emmanuel Macron en a commis un autre, en s’en prenant cette fois aux Français, d’un ton particulièrement méprisant, sur la question des «réformes». Il a commis cet impair depuis les jardins de l’ambassade de France à Bucarest, ajoutant à l’insulte le fait de la proférer sur un sol étranger. Pourtant, c’était le même Emmanuel Macron qui avait déclaré qu’il ne ferait aucun commentaire sur la politique intérieure depuis l’étranger. Sage attitude, à laquelle il eut dû se conformer !
Il est parfaitement faux de dire que les Français se refusent aux réformes
Sur ce point ce ne sont pas seulement les mots, mais aussi les gestes du Président qui ont leur importance. On jugera donc sur pièce, et il est important de regarder la vidéo ici.
En fait, il est parfaitement faux de dire que les Français se refusent aux réformes. Que ces dernières soient globales ou qu’elles concernent la sphère du travail, les Français ont été soumis, et ont accepté, depuis ces vingt dernières années un nombre incalculable de réformes. Ce que les Français refusent, ou du moins pourraient refuser, c’est une réforme particulière, celle qui concerne le droit du travail. Or, cette réforme est justement hautement discutable. Nombre des mesures qu’elle introduit, et en particulier sur la modification des CDI, ont déjà été appliquées dans d’autres pays, et en particulier en Italie. Or, on a pu constater que ces mesures ne donnaient nullement les effets qui en étaient escomptés. Dès lors, et instruits par ces exemples, les Français ont quelques (bonnes) raisons de demander que ces mesures soient revues, amendées, voire supprimées.
Au-delà, il convient aussi de ne pas mythifier le mot de «réformes». Les changements que l’on veut introduire dans des institutions ne sont pas nécessairement bons. Il est aussi des réformes négatives, et de cela l’histoire est remplie. Sur ce point aussi, le président de la République semble fâché avec l’histoire !
3° Mais, l’impair le plus grave n’a pas été relevé par la presse. C’est l’absence du président, ou d’un représentant du gouvernement français – que ce soit le Premier ministre ou le ministre des Affaires étrangères – à la grande manifestation de samedi 26 août qui s’est tenue à Barcelone pour honorer les victimes des attentats terroristes et pour témoigner de ce que ces attentats ne pourront briser le peuple de Barcelone. Cette absence est une faute grave, une faute lourde. Monsieur le président a préféré se reposer dans sa maison du Touquet. Ce faisant, il a commis une grave erreur et un manque de discernement catastrophique. Cette absence est une faute majeure, une faute dont la mémoire restera au moins au même titre que les déclarations calamiteuses sur le gouvernement polonais.
Ne pas se rendre à Barcelone le samedi 26 août, et ce quels que soient les arrières pensées que l’on pouvait avoir quant à la manifestation, c’est aussi une manière de dire que l’Europe n’existe pas, qu’elle n’est qu’un leurre
Barcelone n’est pas simplement une grande ville d’Espagne, la capitale de la Catalogne. C’est une ville qui occupe une place importante dans l’imaginaire des européens, que ce soit pour des raisons culturelles ou que ce soit pour des raisons politiques. Faudra-t-il forcer notre président à lire en public L’Espoir d’André Malraux ou Hommage à la Catalogne de George Orwell ? Il semble bien que son professeur de français aurait dû surveiller d’un peu plus près ses lectures…
Ne pas se rendre à Barcelone le samedi 26 août, et ce quels que soient les arrières pensées que l’on pouvait avoir quant à la manifestation (et l’on eut les mêmes arrières pensées lors de la manifestation de janvier 2015 à Paris à la suite des attentats), c’est aussi une manière de dire que l’Europe n’existe pas, qu’elle n’est qu’un leurre. J’écris ici l’Europe et non pas l’UE, qui n’est qu’un ensemble d’institutions dont on pourrait fort bien se passer, car je n’assimile pas l’Union européenne à l’Europe. J’écris ici l’Europe, au sens historique, politique et culturel. Car, quand un attentat de grande ampleur ensanglante une capitale culturelle comme Barcelone, comment se dire «européen» et ne pas être touché au plus profond ?
En quelques jours, Emmanuel Macron, président de la République, aura donc commis trois impairs qui se révèlent trois erreurs graves. Il aura insulté les peuples d’Europe centrale à travers la Pologne en leur faisant sentir qu’ils ne sont que des peuples de seconde zone ; il aura insulté le peuple français depuis l’ambassade de France à Bucarest ; il aura, enfin, insulté la mémoire des européens en ne se rendant pas à la manifestation de Barcelone. Il aura, à cette occasion, montré qu’il ne connaît pas l’histoire et que, à trop vouloir être, selon ses propres mots, le «maître des horloges», il ignore parfaitement la signification du temps long.