Diplomate américain : Washington se marginalise en interrompant la coopération sur la Syrie

L’emploi de la force contre Damas, comme les Etats-Unis semblent l'envisager, serait non seulement illégitime, mais ne ferait rien pour résoudre la crise syrienne, estime le diplomate américain, Chas Freeman.

Après que les Etats-Unis ont suspendu leur coopération avec la Russie sur le processus de paix en Syrie, les médias ont relayé l'information selon laquelle des fonctionnaires à Washington pensaient effectuer des frappes militaires contre l’armée d’Assad, même s'ils «ont reconnu qu’un tel mouvement» était «associé à un risque d’aggraver la confrontation avec la Russie» et qu’il est peu probable.

Pour Chas Freeman, les Etats-Unis et la Russie sont incapables de régler seuls le problème syrien, car cela exigerait un accord de plusieurs autres des parties, internes et externes, concernées par le conflit. Cependant, il a ajouté que la Russie était un facteur qu’on ne pouvait pas négliger en Syrie et que décider de ne plus parler avec la Russie, revenait à marginaliser les Etats-Unis et non pas la Russie.

Quant à la possibilité d’utilisation directe de la force contre l’armée du gouvernement syrien, le diplomate a exprimé l’espoir que les Etats-Unis s’abstiennent d’un tel acte, qui serait «illégitime au regard du droit international» et ne résoudrait rien.

Un point clé du désaccord entre Moscou et Washington en Syrie concerne le destin du président syrien : doit-il rester ou être chassé du pouvoir ? Les Etats-Unis insistent sur un départ de Bashar el-Assad.

Dans le cadre des intérêts stratégiques des Etats-Unis, Chas Freeman a confié qu’il ne voyait pas ce que les Etats-Unis pourraient gagner à l’expulsion du président syrien, si ce n'est «un certain  sentiment de justification pour le programme libéral qui est franchement absurde en Syrie».

Nous pourrions nous engager dans une sorte d’affrontement direct que les Etats-Unis et l'Union soviétique ont soigneusement évité durant la guerre froide 

Cinq ans après le début du conflit, le régime d’Assad profite toujours d'un «soutien important d’une certaine partie de la population syrienne», ce qui est déroutant pour les puissances occidentales qui pensaient qu’il «pouvait être déplacé très facilement, ce qui s'est avéré faux», selon le diplomate.

On ne peut pas considérer la situation en Syrie comme un conflit interne, car les intérêts des acteurs régionaux, aussi bien que ceux de Moscou et de Washington, s'y affrontent. Chas Freeman a par ailleurs reconnu que le conflit présentait déjà les «caractéristiques» d'une guerre par procuration que se livrent la Russie et les Etats-Unis.

Même si le diplomate est d'avis que les parties sont suffisamment «sages» pour ne pas entrer en confrontation directe, le risque d’un tel scénario est «très élevé».

«La présence de la Russie en Syrie est soutenue par le gouvernement établi. Les Etats-Unis essaient de chasser ce gouvernement du pouvoir. La Russie leur bloque le chemin et nous pourrions nous engager dans une sorte d’affrontement direct que les Etats-Unis et l'Union soviétique ont soigneusement évité durant la guerre froide», souligne-t-il.

Chase Freeman pense que Washington n’a aucune stratégie en Syrie et que les Etats-Unis ne se sont pas fixés d'objectifs clairs.

«Vous ne pouvez rien gagner en employant la force, si vous n’avez pas de stratégie», a-t-il dit, en ajoutant que les Etats-Unis avaient échoué à aborder la «dimension politique» du conflit.

Les Etats-Unis et la Russie ne peuvent pas régler le problème Syrien. Cela nécessite que de nombreuses autres parties concernées se mettent d'accord

Chas Freeman estime en outre que cela peut ne pas être à l’avantage des Etats-Unis d’intervenir dans les affaires intérieures d’un autre Etat, notamment en utilisant la force armée, même au nom de la lutte contre le terrorisme global.

«Est-ce que nous devons aider les autres à gérer cela ? Oui, nous le devons. Mais ils doivent en assumer la part la plus importante et je ne pense pas que nous agissions d’une manière prudente en intervenant en Syrie», a déclaré l'ancien diplomate.

Il a remarqué ensuite qu'on pouvait dire que les Etats-Unis étaient partiellement blamables pour la «métastase terroriste» actuelle existant dans le monde et pour l’expansion rapide de l’activité terroriste dans les pays islamiques.

«Sans doute, les Etats-Unis, font partie de la cause de [ce phénomène]», a regretté Chas Freeman. Le diplomate américain croit aussi que, même si la coopération entre les Etats-Unis et la Russie reprenait, tout ne dépend pas de la volonté de ces deux puissances mondiales s'agissant de résoudre le conflit.

«Les Etats-Unis et la Russie ne peuvent pas régler le problème syrien, cela exige que de nombreuses autres parties concernées se mettent d'accord», a fait remarquer Chas Freeman, ajoutant que la Russie, en tout cas, devait rester un élément indispensable du processus de la prise de décision, car à ses yeux, «on ne peut pas aborder la question syrienne sans la participation de la Russie».

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