Gabon : «La France ne peut pas être indifférente»

Gabon : «La France ne peut pas être indifférente»© MARCO LONGARI Source: AFP
Les violences à Libreville
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La crise que traverse le Gabon aujourd'hui exige l'assistance d'organismes internationaux. La France, elle, est dans une position délicate face à ces évènements, explique le directeur de recherche à l’IRIS en charge de l’Afrique, Philippe Hugon.

RT France : Quelles sont les raisons de ce qu’on appelle maintenant «une révolution» au Gabon ?

Philippe Hugon (P. H.) : Il y a eu un scrutin présidentiel à un tour, et on peut dire qu’on est dans le scénario catastrophe : seuls deux candidats ont obtenu chacun à peu près la majorité des voix, les autres candidats ayant disparu. Les résultats ont des écarts de 5 594 voix environ sur plus de 628 000 votants, soit énormément d’incertitudes. Le président Ali Bongo s’est présenté en tête de la région du Haut-Ogooué où il a obtenu, semble-t-il, 95% des voix sur 99% de participation, ce qui n’est pas crédible, évidemment. Donc, la Commission électorale, à la majorité mais avec le départ des opposants, a déclaré Ali Bongo président, ce que conteste évidemment son opposant Jean Ping. Il faut savoir que tous deux ont été beaux-frères et sont du même clan, le problème est donc complexe. Aujourd’hui Ali Bongo n’assure pas les voix dont il se réclame du Haut-Ogooué, alors que Jean Ping, qui a été déclaré perdant, n’accepte pas cette défaite. On a donc des mouvements extrêmement violents, à Libreville et à Port-Gentil notamment.

La situation qui peut évidemment dégénérer comme cela a été le cas au Burundi ou au Zimbabwe

RT France : Peut-on dire qu'il s'agit vraiment d'une révolution ?

P. H. : Non, ce n’est pas une révolution, c’est une contestation des résultats. Les hommes politiques ont envoyé la garde républicaine, la police, l’armée pour contrôler les mouvements de la population. Mais, en même temps, Jean Ping a lui-même utilisé une part des laissés pour compte, qui sont au chômage, pour réagir avec violence. On a donc actuellement un élément de violence non contrôlé et une situation qui peut évidemment dégénérer comme cela a été le cas au Burundi ou au Zimbabwe.

RT France : Jean-Marc Ayrault a exprimé sa préoccupation, est-ce suffisant ? A votre avis, dans un tel contexte, les actions de la France sont-elles appropriées ? 

P. H. : La France ne peut pas être indifférente, parce qu’elle a beaucoup de liens avec ce pays, y compris plus de 10 000 Français qui sont au Gabon du fait d'accords de coopération, et par le fait que le Gabon fait partie de la zone franc. Jean-Marc Ayrault a demandé de recompter les voix, c’est également la demande de l’UE. C'est la voix de la sagesse, parce qu’il est évident qu’il y a eu des fraudes. Pour faire baisser la tension, il est très important d’avoir un résultat vraiment certifié par des experts et des consultants internationaux qui fassent ce travail en tout objectivité. Sinon, on risque d’entrer dans un cercle vicieux de la violence, il est évident que Jean Ping, qui pense avoir gagné l’élection n’acceptera pas cette défaite.

La France ne veut pas se retrouver comme elle se retrouve en Françafrique ou dans un certain nombre de pays de Sahel, en face d’une opposition extrêmement violente.

RT France : Cette demande, qui est pour l'heure la seule action de la France, est-elle suffisante? L'Hexagone devrait-il s'impliquer plus ?

P. H. : Il est difficile, pour la France, de trop intervenir. La France a soutenu Ali Bongo en 2009, à l’époque de Nicolas Sarkozy. La position de la France, actuellement, est d’essayer de faire le maximum pour que le vote des urnes soit respecté et reflète effectivement le choix des citoyens. La France ne veut pas allez tellement au-delà. Elle ne veut pas se retrouver comme elle se retrouve en Centrafrique ou dans un certain nombre de pays de Sahel, en face d’une opposition extrêmement violente.

RT France : La situation au Gabon a-t-elle une influence sur les intérêts français ?

P. H. : Historiquement il y a évidemment eu beaucoup d’intérêts économiques français au Gabon, à commencer par les intérêts pétroliers. Mais la situation a changé. Total ce n’est pas Elf, Total n’a pas de gros intérêts au Gabon alors que Elf en avait. Les intérêts économiques sont des intérêts très corporatifs et liés à quelques firmes. La position française globalement est plutôt d’éviter le chaos et la violence et que cette zone soit effectivement stabilisée. On peut toujours avoir un lobby pour Jean Ping ou pour Ali Bongo, mais ce n’est pas l’enjeu de la politique globale aujourd’hui.

RT France : Vous avez dit que les deux candidats avaient eu des résultats très proches, que ni l’un ni l’autre ne veut céder, estimant être le gagnant. Y a-t-il un espoir de résolution pacifique de cette situation ?

P. H. : Il y a deux préalables. Le premier c’est qu’on compte les voix, que les organismes de contrôle internationaux ayant toute légitimité définissent qui a gagné. On sait qu’il y a eu des tricheries au Haut-Ogooué, certaines ont peut-être été favorables au président Ali Bongo. Le deuxième élément est de ne pas laisser les hommes politiques instrumentaliser le mécontentement de la population délaissée, de ce qu’on peut appeler le sous-prolétariat urbain, et qu’ils se comportent en hommes politiques responsables. Là on est plutôt dans la négociation politique, dans l’influence. Il faut faire en sorte que ni Jean Ping ni Ali Bongo n’attisent le feu. Si on ne le fait pas, il y aura des violences.

Jean Ping apparaît plus comme un homme d’alternance, mais il demeure très proche du clan Bongo

RT France : L'actuel président est le fils de l’homme qui a été président pendant une quarantaine d’années. Cela peut-il avoir une influence sur le processus aujourd’hui ?

P. H. : On voit qu’il y a une volonté de la population gabonaise [de contester] ce qu’on appelle la dynastie Bongo. Avec Ali Bongo, on en est presque à cinquante ans de cette dynastie. Mais il ne faut pas être naïf. Car Jean Ping était l’élément principal de la stratégie d’Omar Bongo. Il a été à des postes de responsabilité durant son règne, il est de cette famille, il a des enfants de la sœur d’Ali Bongo. Il n’y a donc pas de rupture avec le clan Bongo. C’était une rupture électorale, parce qu’il est à la tête de l’opposition au régime, mais on ne peut pas dire qu’il soit totalement indépendant de ce clan. Mais symboliquement ce serait mieux que ce soit quelqu’un qui ne s’appelle pas Bongo. Jean Ping apparaît plus comme un homme d’alternance, mais il demeure très proche du clan Bongo.

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