RT France : Vous vous présentez comme un mouvement pacifique, dans quelles circonstances les choses ont-elles dégénéré?
Axel Rokvam : Avant que notre rassemblement ne commence, on avait pris soin de se présenter, un autre Veilleur et moi-même, à la « Commission accueil » sur la place de la République. Et là, on a tout de suite été mis sous pression. Un groupe d'environ 40 à 50 membres de Nuit Debout, avec des brassards, s'est formé autour de nous puis nous a poussés dehors avec force, en nous expliquant qu'ils ne pourraient pas empêcher d'éventuels débordements. Y compris des débordements de leur propre part comme la suite des événements l'a effectivement montré. Donc, refoulés de la place de la République, on a décidé d'organiser la veillée quelques centaines de mètres plus loin, quai de Valmy, sur le canal Saint-Martin, et le rassemblement pour la veillée s'est formé une première fois. Et c'est là qu'on a été pourchassés par un groupe dont certains étaient habillés en noir, cagoulés, et armés de matraques télescopiques. J'ai alors reconnu des personnes de la Commission d'accueil que j'avais vues place de la République.
Comme on était poursuivis sans relâche, on a dû déplacer la veillée, qui s'est tenue à trois endroits différents. A chaque fois, on a tenu le lieu 15 à 20 minutes, c'est-à-dire le temps que les Antifas n'osent passer à l'acte et ne se décident à nous attaquer. Je dis «osent» parce qu'il n'est facile pour personne de se mettre à frapper des gens non violents et passifs. Comprenez que ça déboussole les agresseurs de se trouver devant des gens assis qui écoutent de la musique, un intervenant ou un orateur... Alors pour déclencher les violences, pour s'exciter eux-mêmes à frapper, les Antifas ont plusieurs méthodes. Par exemple, s'en prendre à l'orateur de la veillée. Ou encore pousser un journaliste sur les autres afin de déclencher une bousculade, ce qui rend plus faciles les coups dans la confusion. Ou encore attraper le téléphone d'un participant et le jeter contre un mur. On nous a aussi lancé de la nourriture, des œufs, des bouts de bois... L'escalade se fait petit à petit, et à un moment la violence se déchaîne.
RT France : Pourquoi n'avez-vous pas répliqué?
Axel Rokvam : La force de notre mouvement, c'est justement de ne pas répliquer. Grâce à nos trois années d'expérience depuis le début du mouvement des Veilleurs, et forts de ce qu'on a subi face aux CRS lors de la Manif pour tous en 2013, on a acquis cette capacité à ne jamais répondre par la violence à la violence. Se fixer comme règle absolue de ne pas répliquer, c'est toute la difficulté. De toute façon, vous avez d'un côté des femmes, des personnes âgées et calmes – il y avait même une personne handicapée – et de l'autre de jeunes hommes en pleine forme et violents. Alors il est impossible de répliquer.
Ils étaient non seulement armés de matraques télescopiques, mais aussi de poings américains et de barres de fer. Place de la République, ils n'osaient pas sortir leurs armes, mais quai de Valmy, plus loin de la police qui n'est jamais venue à temps malgré nos appels, ils ont commencé à cracher sur les gens et donner des coups de poing. Quand on ne pouvait plus contenir la violence, on devait lever le camp et reconstituer la veillée plus loin. On se dispersait et on se regroupait.
Les Antifas nous retrouvaient et se regroupaient, eux-aussi. C'était une véritable chasse à l'homme. Ensuite, ils pénétraient dans la veillée pour piétiner les gens assis et les frapper à la tête... Je ne sais pas si on peut imaginer... Si un Veilleur s'interposait pour protéger des camarades, les Antifas le frappaient même s'il leur tournait le dos. Alors bien sûr on a eu des blessés, un Veilleur a eu le cuir chevelu entaillé. Ca pissait le sang, c'était impressionnant. Il a dû partir aux urgences pour se faire recoudre. Un autre a été victime d'un croche-pied alors qu'il tentait de fuir les Antifas et il est tombé nez contre terre. Un autre encore a eu la mâchoire cassée. Et puis on ne compte pas les bosses, les yeux au beurre noir et les bleus. Le vice-président du syndicat CFTC, Joseph Thouvenel, un des intervenants de la veillée, a lui été frappé au-dessus de œil. Même des passants ont été agressés. A mon avis, pour la raison que les Antifas les ont pris pour des Veilleurs, soit, plus simplement, afin que personne ne puisse s'intéresser à nous. Et puis, sur le plan psychologique, il faut se rendre compte de l'ambiance de terreur pure. Il y a eu des menaces de mort. Quant à moi, un type est venu à ma hauteur, son visage à quelques centimètres, les yeux fous de rage, et s'est mis à hurler :
Toi, je t'égorge!
C'était un type torse nu, extrêmement musclé, violent et qui venait juste de frapper d'autres Veilleurs, provoquant leur fuite. Je dis que les personnes qui ont eu le courage de rester et prendre des coups sont des héros.
RT France : Mais quel était votre but, place de la République, vous ne vous attendiez pas un peu à ce que ça tourne mal?
Axel Rokvam : On s'attendait bien sûr à des difficultés pour se faire accepter place de la République, mais on ne se doutait pas qu'on ne nous laisserait pas nous installer un peu plus loin, et surtout qu'on serait pourchassés sans relâche. Si on est allé place de la République à la rencontre de la Nuit Debout – et j'y suis allé moi-même auparavant plusieurs fois seul – c'est qu'il faut absolument que les gens se sentent aimés et écoutés. Nous ne voulons provoquer personne, mais nous considérons, nous, Veilleurs, qu'il est pire de déserter la République et laisser le champ libre. Nous estimons que notre absence serait pire.
Pour moi, un signe qu'on a réussi à faire quelque chose, c'est que sur la fin, des bagarres ont fini par éclater entre eux quant au sort qu'il fallait nous réserver. Certains voulaient finalement que la veillée puisse se dérouler normalement. Certaines personnes de Nuit Debout, entraînées dans le groupe Antifa qui nous a poursuivi, ont demandé pardon pour les violences des autres. Elles étaient désemparées et je pense que certaines auraient préféré être de l'autre côté, du côté des Veilleurs. Je pense que c'est la preuve qu'on avait raison d'y aller, c'est même peut-être le signe qu'on devrait y retourner. On a semé le doute et c'est une petite victoire. Je suis sûr que des personnes place de la République auraient été intéressées par ce qu'on avait à dire.