RT France : Est-ce que pour vous ce score de l’extrême droite était prévisible au premier tour de la présidentielle en Autriche ?
Jean-Yves Camus : La FPÖ est incontestablement un parti qui est dans une dynamique ascendante. D’abord, c’est un parti ancien, créé en 1956, c’est un parti qui a eu l’expérience du gouvernement une fois dans les années 80, une deuxième fois au début des années 2000. Il a des bastions territoriaux – la province de Carinthie, que Jörg Haidera dirigé pendant un temps et aussi d’autres provinces du pays qu’il a gouvernées ou qu’il gouverne. Par ailleurs, c’est un parti qui avait donné des indicateurs aux élections européennes, aux élections municipales de Vienne de l’année dernière, qu’il était en train de récupérer plusieurs choses, d’abord le sentiment anti-européen, le scepticisme envers l’Union européenne, la question des réfugiés, qui avec l’arrivée de la présidentielle est une des raisons, me semble-t-il, qui explique le score du candidat de la FPÖ.
La grande coalition déclenche inévitablement la volonté des électeurs de voir autre chose, et autre chose en Autriche, cela existe déjà
Il a en fait expliqué que le gouvernement de coalition avait pris des mesures, qui sont par ailleurs censées endiguer le flot des arrivés, mais que tout cela n’était pas suffisant. C’est une nouveauté en Autriche, où le président de la République a une fonction essentiellement honorifique, c’est que le candidat du FPÖ a indiqué que s’il était élu, il ferait usage des pouvoirs que lui donne la constitution de dissoudre le parlement – ce qu’en fait le président de la République ne fait jamais –si jamais le parlement ne suivait pas ses recommandations d’adopter une législation beaucoup plus dure sur la question de l’immigration et des réfugiés. Si on regarde véritablement sur la longue période, c’est déjà un parti de gouvernement et c’est un parti qui grignote aussi les années. La situation en Autriche est très particulière. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale les socio-démocrates et les chrétiens-conservateurs soit alternent le pouvoir, soit gouvernent en grande coalition. C’est une situation qui a toujours le même effet : sur le moment cela parait rassurant, cela donne l’impression de l’unité nationale et ensuite, la grande coalition déclenche inévitablement la volonté des électeurs de voir autre chose, et autre chose en Autriche, cela existe déjà.
Pour l’instant le candidat du FPÖ fait un excellent premier tour, mais il n’est pas donné gagnant au second
RT France : Selon le chef du parti du FPÖHeinz-Christian Strache, ce vote reflète les qualités de Norbert Hofer, mais aussi une profonde insatisfaction vis-à-vis du gouvernement actuel. Pensez-vous que ces conditions peuvent faire élire Hofer au deuxième tour ?
J.-Y. C. : Pour l’instant l’arithmétique est défavorable. Quand on regarde les résultats, on voit qu’effectivement il est en tête, mais il va falloir qu’il puise dans des réserves de voix et le pronostic est extrêmement difficile à faire, parce que à l’exception d’Alexander Van der Bellen, on a des candidats indépendants au premier tour qui n’avaient pas un positionnement politique et idéologique très clair. Comment est-ce que leur vote va se répartir, on ne le sait pas. Quelle est la proportion d’électeurs conservateurs qui préfèrera voter pour le FPÖ que voter pour un homme qui a une réputation d’écologiste centriste et libéral sur les questions d’immigration et de droit d’asile. Donc, pour l’instant le candidat du FPÖ fait un excellent premier tour, mais il n’est pas donné gagnant au second. Après, il ne faut pas négliger la possibilité qu’une fraction de l’électorat décide d’amplifier le mouvement du premier tour, c’est-à-dire de dire : puisque ce candidat a véritablement sa chance et qu’on a l’intention de donner plus qu’un coup de semonce aux deux partis au pouvoir, et bien, on va finalement voter pour lui pour voir ce que ça donne. La question de la mobilisation des abstentionnistes sera assez décisive. Mais pour l’instant il n’est pas favori.
RT France : A quel point en général ce résultat est-il symptomatique pour l’Union européenne du sentiment de l’euroscepticisme ?
J.-Y. C. : Sur l’euroscepticisme, depuis ce matin j’entends beaucoup dire : c’est les partisans de la sortie de l’Europe qui ont gagné. Mais le FPÖ n’est pas le parti de droite nationaliste le plus hostile à l’Union européenne, ce n’a jamais été la priorité de son agenda, et c’est en cela par exemple qu’il diffère de Marine Le Pen, même s’il a avec le Front national d’excellentes relations. La question est celle du système politique dans son ensemble, c’est-à-dire d’un système politique qui est complétement verrouillé depuis quand même maintenant 70 ans, ce n’est pas tout à fait une mince affaire. D’hommes politiques aussi : je pense au chancelier Faymann et au vice-chancelier conservateur qui ne sont pas des personnalités charismatiques.
Norbert Hofer un candidat policé, et c’est ce qui fait qu’il a pu atteindre ce score
Il y a en Autriche, et on l’avait vu déjà à l’époque de Jörg Haider,un besoin de personnalité qui tranche par rapport aux hommes d’appareil qui se succèdent au pouvoir. Cela avait déjà était vrai dans les années 80 avec le chancelier socialiste Bruno Kreisky qui était quelqu’un qui débordait un petit peu du cadre rigide de la politique habituelle et avait un vrai coefficient personnel.
Hofer est un homme qui a effectivement des qualités personnelles qui n’a pas dérapé dans sa campagne et qui suscite une certaine sympathie, parce que c’est un homme qui est revenu en politique après un très grave accident de sport en 2003, qui l'a laissé partiellement handicapé. Voilà, on a l’impression de quelqu’un qui est courageux personnellement, c’est indiscutable, et qui s’intéresse au sort de ceux qui ont été victimes, comme lui, d’accidents. Il a beaucoup travaillé sur la question des handicapés, ce qui n’est pas un sujet sur lequel traditionnellement les hommes politiques parlent beaucoup. Quand c’est fait avec sincérité et compétence, cela amène un capital de sympathie. Et puis, il n’est pas aussi clivant que pouvait l’être Haider, il n’y a pas de déclarations sur le troisième Reich, pas de déclarations aux tonalités racistes ou antisémites, c’est un candidat policé, et c’est ce qui fait qu’il a pu atteindre ce score.
L’Autriche aujourd’hui est, vu sa géographie, en plein cœur de la question des réfugiés
RT France : Après la victoire du FPÖ au premier tour, pensez-vous que la tendance pourrait gagner la France avec le Front national ? Pourrait-il gagner encore plus de sympathisants à un an de la présidentielle en France ?
J.-Y. C. : Avoir plus de sympathisants c’est possible, mais cela ne suffit pas pour remporter l’élection présidentielle ou pour gouverner. Le problème du Front national c’est qu’il est tout seul. Donc il progresse mais il progresse tout seul. Le FPÖ a déjà été agrée comme partenaire de coalition par les deux principaux partis du pays, c’est une situation totalement différente. L’autre différence est liée à la question des réfugiés. L’Autriche aujourd’hui est, vu sa géographie, en plein cœur de la question des réfugiés, tout simplement parce que c’est sur la route de l’Allemagne. Le chancelier Faymann il n’y a pas très longtemps disait : «Nous ne voulons pas que l’Autriche devienne l’antichambre de l’Allemagne.» Cela donne bien la mesure de la situation. La France est en dehors des routes migratoires et n’accueille qu’un nombre restreint de réfugiés. Donc, c’est une problématique qui parle beaucoup moins à la population, donne moins d’inquiétude évidemment.