Des chrétiens menacés par la politique étrangère de l’Occident

Le journaliste et écrivain Neil Clark, dont le travail se concentre sur la politique et les affaires étrangères, analyse l’influence des interventions occidentales au Moyen-Orient sur le quotidien des chrétiens dans cette région.

Pâques devrait être une période de fête pour les chrétiens, mais ceux qui vivent au  n’ont pas eu grand-chose à fêter ces dernières années.

Un nouveau film documentaire de la BBC intitulé «Tuer les chrétiens» sera diffusé cette semaine. Dans ce film, la journaliste réputée Jane Corbin voyage «à travers le Moyen-Orient pour analyser les raisons qui font que le christianisme doit faire face à la plus grande menace de son existence. Elle découvre que des centaines de chrétiens fuient les extrémistes islamiques, les conflit et la persécution».

C’est une histoire sinistre, mais pour comprendre pourquoi les chrétiens sont tellement menacés aujourd’hui, il faut examiner la politique étrangère de l’Occident.

Les leaders chrétiens autoproclamés en Occident ont mis leurs coreligionnaires en danger, en adhérant aux politiques interventionnistes néo-conservatrices et libérales. Ces dernières avaient pour objectif principal de renverser les régimes laïques et socialistes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord qui, bien qu’autoritaires, protégeaient les chrétiens et rejetaient l’extrémisme religieux.

Commençons par . Le fait que les chrétiens y étaient protégés par le gouvernement et que le vice Premier ministre Tarek Aziz soit un chrétien pratiquant, n’a pas eu beaucoup de poids au moment où ces grands «chrétiens» que sont George Bush et Tony Blair ont lancé une guerre illégale contre ce pays en 2003.

Les résultats de l’invasion étaient prévisibles. L’Etat iraquien est tombé en déliquescence et les djihadistes s’y sont précipités pour exploiter le chaos. Les chrétiens qui étaient en sécurité sous le régime de Saddam Hussein, ont été tués en grand nombre par les extrémistes religieux. Un des pires incidents fut le massacre de près de 60 personnes lors de la célébration de la messe du dimanche dans une église à Bagdad, en octobre 2010.

Un chaos similaire existe maintenant en , encore une fois à cause d’une intervention militaire occidentale qui a, en fait, remis le pays aux mains des extrémistes. En février, 21 chrétiens coptes d’Egypte ont été décapités dans le pays par Daesh.

En savoir plus : L’Egypte pilonne les positions de l’EI en Libye après l’exécution de 21 chrétiens égyptiens

Le groupe Open Doors qui recense les persécutions contre les chrétiens annonce : «Depuis le renversement de Mouammar Kadhafi, la situation pour les chrétiens en Libye s’est détériorée. Le gouvernement prétend que tous les Libyens sont des musulmans sunnites ; il est illégal d’apporter des Bibles en arabe dans le pays ou d’évangéliser. Les travailleurs migrants chrétiens peuvent avoir des églises, mais les croyants libyens venus de l’islam doivent tenir leur foi secrète».

Et qu'en est-il de la , qui abrite l’une des communautés chrétiennes les plus anciennes dans le monde ? En 2008, voilà ce que j’avais écrit sur ce pays :

«C’est un pays du Moyen-Orient où les célébrations chrétiennes sont des jours fériés officiels et où les fonctionnaires sont autorisés à prendre leur dimanche matin pour aller à l’église, même si le dimanche est un jour ouvré. Une place où les femmes peuvent fumer, être maquillées et prendre part à la vie publique. Un pays qui manifeste une implacable opposition au fondamentalisme islamique et à Al-Qaïda et dont les forces de sécurité ont aidé à contrecarrer une attaque terroriste contre l’ambassade des Etats-Unis. Non, ce n’est pas Israël, c’est la Syrie».

Donc, qu’est-ce que les puissances occidentales ont fait avec le pays qui «s’opposait complètement au fondamentalisme islamique, à  et dont le gouvernement permettait aux chrétiens d’avoir congé le dimanche matin pour aller à l’église ?» La réponse : elles l’ont délibérément déstabilisé, en soutenant des rebelles violents, dont beaucoup ont des liens avec Al-Qaïda, dans leur tentative de renverser un gouvernement laïque qui avait un large soutien populaire et qui, après des décennies d’un régime de parti unique, avait lancé un programme de démocratisation.

Plus de 700 000 chrétiens se sont enfuis de la Syrie depuis le début de combats.

En février, la BBC a rapporté que des milliers de chrétiens avaient été forcés de fuir leurs maisons en raison de la menace des rebelles islamistes extrémistes et des combattants djihadistes.

Dans les zones conquises par le groupe djihadiste , les chrétiens ont reçu l’ordre de se convertir à l'islam, de payer la jizya (un impôt religieux) ou de faire face à la mort…De hauts dignitaires religieux chrétiens ont aussi été enlevés par des terroristes armés inconnus».

La même source citait les propos de Grégoire III Laham, le patriarche de l'Eglise catholique melkite grecque : «Le futur des chrétiens en Syrie n’est pas menacé par les musulmans, mais par le chaos».

Le même type de chaos que les puissances occidentales ont semé en Irak et en Libye, deux autres pays indépendants qui ne suivaient pas la ligne.

Dans son discours de Pâques, la semaine dernière au Vatican, le Pape a dit : «Nous demandons la paix, avant tout, pour la Syrie et pour l’Irak, la cessation des combats et le rétablissement des relations pacifiques parmi les différents groupes qui constituent ces pays qui nous sont chers».

Les sentiments nobles exprimés par le Saint-Père n’ont pas été entendus par les destructeurs de l’Irak, de la Libye et de la Syrie. Alors que  a organisé des négociations entre les représentants du gouvernement syrien et de l’opposition, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne se sont concentrés sur l’entraînement des «rebelles» pour qu’ils combattent un gouvernement qui fait davantage qu’eux dans la lutte contre l’Etat islamique en Syrie, un argument qu’a fait valoir le président syrien Bachar Al-Assad, dans une interview publiée dans des médias russes le mois dernier.

Si les Etats-Unis et leurs alliés voulaient vraiment combattre les djihadistes radicaux en Syrie, ils auraient travaillé avec le gouvernement syrien dans sa lutte contre les extrémistes. Il est donc clair que le renversement d’Al-Assad, peu importent les coûts humains ou financiers, reste leur objectif principal.

Bien sûr, les chrétiens ne sont pas les seuls à avoir été exposés au danger par les politiques interventionnistes de l’Occident au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Les musulmans ont beaucoup souffert alors que leurs pays ont été plongés dans le chaos, transformés en Etats déliquescents. Selon le nouveau rapport Body Count que j’ai évoqué dans ma dernière chronique Op-Edge, au moins 1,3 millions de personnes ont été tuées dans la «guerre contre la terreur» conduite par les Etats-Unis et ce nombre ne tient pas compte des presque 50 000 personnes qui ont été tuées en Libye, pendant et après «l’intervention humanitaire» de l’Occident en 2011.

Le journaliste d’investigation Nafeez Ahmed qui écrit pour Middle East Eye croit que le nombre de morts causés par les guerres occidentales depuis 1990 pourrait dépasser le chiffre de quatre millions.

Toutes ces morts sont tragiques, qu’il s’agisse de chrétiens ou de musulmans. L’hypocrisie des hommes politiques occidentaux qui déclarent être chrétiens, mais qui ont soutenu «les interventions» des 15 dernières années dépasse les bornes.

«Je suis horrifié par le meurtre des chrétiens en Libye, un acte simplement barbare et inhumain», a déclaré le Premier ministre britannique David Cameron en février, avant d’ajouter assez ridiculement que la situation en Libye allait mieux depuis l’intervention militaire occidentale. Le Premier ministre devrait vérifier le site web de son propre gouvernement qui conseille de «ne pas voyager en Libye à cause des combats incessants, de la menace d’attaques terroristes, des enlèvements d’étrangers par des extrémistes affiliés à Daesh et de la détérioration de la situation en matière de sécurité à travers le pays».

Les chrétiens qui soutiennent l’ordre du jour néo-conservateur ne voient pas les contradictions de leur position. Par exemple, l’homme politique Michael Gove a écrit un article intitulé Pourquoi je suis fier d’être un chrétien. Pourtant, ce même homme politique chrétien, grand admirateur de Tony Blair le destructeur de l’Irak, est aussi un grand partisan d’actions militaires contre le gouvernement syrien qui protège les chrétiens.

Si l’on avait agi comme le souhaitait Michael Gove et que l’Occident avait agi militairement contre le gouvernement syrien en 2013, Daesh contrôlerait probablement tout le pays et il n’y aurait plus de chrétiens.

Mentionnons le grand «chrétien» Tony Blair lui-même. Ses politiques au Moyen-Orient n’ont pas seulement provoqué de carnage auprès des chrétiens et des musulmans de la région. C’était un faucon enthousiaste à propos du bombardement illégal de la Yougoslavie en 1999, pendant la Pâques orthodoxe et malgré les appels de Belgrade à une trêve pour la fête religieuse. Le plastiqueur Tony Blair a qualifié les appels de la Yougoslavie de «stratagème politique» auquel l’Occident «n’allait pas croire».

Tony Blair était aussi un faucon en Syrie, en poussant à agir contre le gouvernement laïque. Comme d’autres néo-conservateurs, il nous prévient à plusieurs reprises de dangers de l’islam extrémiste, tout en appelant à un «changement de régime» dans les pays où les gouvernements étaient ou sont un rempart contre Al-Qaïda et ses alliés. Vous être embrouillés ? Vous n’avez pas de raison de l’être.

Il est clair que la protection des chrétiens au Moyen-Orient est située très bas sur la liste des priorités des hommes politiques occidentaux, même parmi ceux qui proclament publiquement leur foi chrétienne. Ce qui est important dans la détermination de la politique occidentale et, en particulier, des politiques américaine, britannique et française, ce sont les intérêts pétroliers, l’influence du lobby pro-israélien et la coopération avec l’Arabie saoudite et les Etats du Golfe.

L’obsession pour le renversement de Bachar Al-Assad, dont le gouvernement est sur la ligne de front dans le combat contre Daesh, est difficile à comprendre, à moins qu’on estime qu’Israël et l’Arabie saoudite veulent désespérément casser l’axe entre la Syrie, l’Iran et le Hezbollah et qu’il il y a du pétrole sur le plateau du Golan qui reste un territoire contesté.

Les événements des 15 dernières années nous ont montré que les élites occidentales n'épargneraient aucun effort pour atteindre leurs buts, au mépris du chaos et de lourdes pertes en vies humaines qui en découlent. Et si les chrétiens sont exposés à un danger moral à cause des «interventions» au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, qu'à cela ne tienne : les bénéfices viennent toujours avant les prophètes.