Les dangers que l’euro fait courir à la France mais aussi à l’Europe sont désormais évidents. Ils sont reconnus par des dizaines d’économistes, tant français qu’étrangers, dont un certain nombre de titulaires du Prix Nobel. La liste ne fait d’ailleurs que s’allonger avec les mois qui passent, et elle compterait désormais plus de 175 noms. Ces dangers font de l’objectif de mettre fin à la monnaie unique, que ce soit dans la cadre d’une dissolution concertée ou que ce soit par une sortie unilatérale, l’un des objectifs prioritaires que toute force politique défendant ET les intérêts des français ET se donnant pour objectif la santé économique et politique de l’Europe devrait se fixer. De la même manière que la sortie de la crise des années 1929-1932 impliqua la fin de l’étalon-or, la sortie de la crise qui dure maintenant depuis près de dix ans en Europe implique que l’on mette fin à l’euro. Mais, le débat sur une sortie, ou sur une dissolution, de l’euro suscite un certain nombre de questions qui reviennent de manière récurrente. Ces questions, il convient d’y répondre.
Pourquoi la fin de la monnaie unique est-elle un impératif ?
On peut se demander si la fin de l’euro est réellement un impératif. Après tout, une dépréciation de l’euro ne pourrait-elle remplacer la dissolution de la zone euro ? Cette thèse a été régulièrement avancée, en particulier de 2010 à 2014 quand le taux de change de l’euro face aux autres monnaies était très élevé. Cette question est d’ailleurs régulièrement posée à chaque fois que les tensions s’accumulent dans la zone euro. On considère qu’une alternative à la dissolution de l’euro serait sa dépréciation par rapport au dollar. Mais, en quoi une dépréciation de l’euro pourrait-elle être une alternative au retour aux monnaies nationales et à la dépréciation de chaque monnaie ? En réalité, les tenants de cette thèse ont tendance à oublier :
- Le fait que dans un processus de dépréciation de l’euro, la parité implicite de chaque pays vis-à-vis de l’euro n’est pas modifiée. Or, le problème réside dans les différences de situation à l’intérieur de la zone euro. On ne peut, en réalité, trouver un taux de change unique qui satisfasse des pays qui ont des économies structurellement très différentes. Un euro déprécié avantage l’Allemagne bien d’avantage que les autres pays, si les taux des changes intérieurs à la zone euro restent constants, à leur niveau fixé en 1999. C’est le rapport entre les monnaies au sein de la zone qu’il faudrait pouvoir modifier pour pouvoir tenir compte des différences entre les gains de productivité et les taux d’inflation entre chaque pays. Mais, cela, techniquement, exige en réalité que l’on mette fin à l’euro.
- Le fait que tous les pays n’ont pas le même degré d’intégration dans la zone euro. La France est aujourd’hui l’un des moins intégrés, alors que le taux d’intégration de l’Espagne ou de l’Italie est nettement plus élevé. Dans une dépréciation de l’euro, la France gagnerait ainsi nettement plus que ses deux voisins du Sud. Soutenir l’idée de la dépréciation de l’euro par rapport au dollar, c’est en un sens vouloir la mort des pays du « Sud » de la zone.
En fait, la zone euro fonctionne comme un système de parités rigides, comme l’équivalent d’un étalon-or, et ce sans la possibilité de dévaluer cette parité, ce qui était le cas dans l’étalon-or. Les économistes connaissent bien les inconvénients d’un tel système. Il empêche les ajustements naturels qu’il faut faire car les pays ont des trajectoires de gains de productivité et d’inflation qui sont très différentes. Ce système rigide fut l’une des causes de la grande dépression qui suivit la crise de 1929, et ce jusqu’à ce que les pays, les uns après les autres, se mettent à déprécier leurs monnaies. Ces pays, l’Allemagne et le Royaume-Uni en particulier, avaient initialement tenté de mettre en place des politiques que l’on qualifie de «dévaluations internes» pour maintenir la parité-or de leurs monnaies. Mais la «dévaluation interne» n’est autre que ce que l’on appelait dans les années 1930 une politique de déflation, comme celle qui fut pratiquée par Ramsay MacDonald en Grande-Bretagne, Pierre Laval en France ou le chancelier Heinrich Brünning en Allemagne. Les résultats en furent dramatiques. Compte tenu de la présence de rigidités nominales différentes suivant les prix, et du fait que les coûts financiers sont constants en valeur nominale, ces politiques se sont toutes traduites par des désastres sociaux ET économiques. Cette politique est aujourd’hui largement responsable de la hausse du taux de chômage dans les différentes économies du «Sud» de la zone euro. En fait, il n’y a pas d’alternative à ces politiques d’austérité tant que l’on restera dans la zone euro.
Une sortie de la zone Euro entraînera-t-elle une catastrophe ?
On avance souvent qu’une sortie de l’euro provoquerait une catastrophe économique. Ce discours évoque les déclarations les plus apocalyptiques de l’histoire. A entendre ceux qui condamnent toute sortie de l’euro, nous serions menacés de tremblements de terre, de pluie de sang et de nuées de sauterelles. Bref, les dix plaies d’Egypte ne seraient qu’une plaisante rigolade à côté de ce qui nous attendrait en ce cas. Ce discours est à l’évidence conçu pour effrayer ceux qui l’entendent. On cherche à provoquer une réaction de peur et non une réflexion raisonnée, et raisonnable, sur ce sujet. Que des personnes, qui pour certaines sont estimables, en soient réduites à ce type d’argument dit bien à quel point on est entré dans le domaine du religieux dès que l’on évoque une sortie de l’euro.
L’un des arguments est qu’une disparition de la monnaie unique entraînant une dépréciation de la monnaie provoquerait une explosion de l’endettement de la France avec des conséquences désastreuses. L’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, s’est illustré dans la défense de cet argument. Mais, il s’agit d’un des arguments les plus usés et, en réalité, les plus mensongers.
Il faut ajouter ici qu’une sortie de l’euro impliquerait un changement global de la politique monétaire et financière de la France, mais aussi de TOUS les états concernés
Il faut rappeler ici l’état exact du problème. En droit international ce qui compte n’est pas la nationalité du prêteur mais la nationalité des contrats. Quand une dette, publique ou privée, a été émise en droit français, sa monnaie de règlement est la monnaie ayant cours légal en France, quel que soit cette monnaie (euro ou franc). Ce principe porte un nom, la Lex Monetae. Pour la dette publique, les contrats émis en droit français sont passés de 85% du montant de la dette à 97% en 2013. Donc, seuls les 3% résiduels seraient affectés par une dépréciation de la monnaie. La dette des ménages, elle, est massivement (à plus de 98,5%) en contrats en droit français. Cela veut dire qu’il y aurait une conversion instantanée des dettes et des avoirs détenus en Euro en Franc, au taux de 1 pour 1. L’endettement des ménages resterait inchangé. Pour les entreprises non-financières, le problème de la nature du droit ne se pose que pour celles, en général les grands groupes du CAC-40, qui ont emprunté en dollars, en livres ou en yens (voire en yuans). Mais, ces grands groupes réalisent une large partie de leur chiffre d’affaires hors de France et dans ces monnaies. L’impact de la hausse de leur endettement serait couvert par la hausse de leur chiffre d’affaires en monnaie autre que le Franc. Pour les sociétés financières (banques et assurances) une étude de la Banque des règlements internationaux (BRI) de Bâle montre que le système bancaire français peut parfaitement digérer ce choc, dont le montant agrégé ne dépasserait pas les 5 milliards d’euros (soit le montant de la fraude attribuée à Jérôme Kerviel). Pour les assurances, elles ont massivement réorienté leurs actifs vers la France. Si une aide de l’Etat est nécessaire, elle devrait être limitée et serait largement digérable dans le cadre d’une forte croissance engendrée par la dépréciation.
Il faut ajouter ici qu’une sortie de l’euro impliquerait un changement global de la politique monétaire et financière de la France, mais aussi de TOUS les états concernés. L’une des caractéristiques les plus importantes de ce changement serait le retour à une situation de contrôles et de réglementations de la finance, ce que l’on appelle la «répression monétaire». Or, cette dernière a eu un impact très positif, que ce soit sur la production ou sur l’investissement, quand elle fut pratiquée après la Seconde Guerre mondiale.
Les avantages d’une dissolution de l’Euro
Les avantages d’une sortie, ou d’une dissolution, de l’Euro seraient en réalité très importants pour l’économie française, mais aussi pour celle de pays comme l’Italie, l’Espagne, la Grèce et le Portugal. Cette dissolution, ou une sortie unilatérale provoquant rapidement l’explosion définitive de la zone Euro, rendrait aux différentes monnaies la possibilité de s’ajuster, que ce soit à la baisse ou à la hausse. On sait qu’une dépréciation de la monnaie a bien des effets positifs sur l’économie comme le montrent les différentes études réalisées ces dernières années, et en particulier celles faites par le Fonds monétaire international. En particulier, la compétitivité prix reste largement dominante dans le cas des produits fabriqués en France. La France retrouverait donc la compétitivité qu’elle a perdue depuis l’engagement dans la logique de l’euro, c’est à dire depuis en réalité le début des années 1990.
Une dépréciation de la monnaie, et l’on se met ici dans l’hypothèse d’un retour au franc accompagné d’une dépréciation sensible par rapport au dollar et au deutsche mark, entraînerait une forte croissance pendant une période de 3 à 5 ans qui se traduirait par des créations d’emplois importantes. Cette croissance dégagerait les ressources budgétaires et fiscales qui sont nécessaires à la réalisation de véritables réformes structurelles. Si l’on procède à une dépréciation forte de la monnaie, on obtient au bout de 3 ans à une forte baisse du chômage (de 1,5 million à 2,5 millions suivant les hypothèses sur le marché de l’emploi). Ceci entraînerait un équilibre (voire un solde positif) de l’assurance-chômage. En fait, la meilleure des réformes structurelles, que ce soit sur la question de l’assurance-chômage ou sur celle des retraites, c’est bien le retour rapide à une forte croissance et une forte baisse du chômage. En réalité, loin de s’opposer, la dépréciation monétaire a toujours été le meilleur des moyen de réaliser ces réformes structurelles.
Les produits français gagneraient fortement en compétitivité par rapport aux produits allemands mais, en contrepartie, ils perdraient en compétitivité par rapport aux produits italiens et espagnols
Si la France sortait de l’euro et dépréciait sa monnaie, bien des pays l’imiteraient. D’aucuns affirment alors que cela reviendrait à annuler le bénéfice de l’opération. Mais, le fait que d’autres pays nous imitent, voire dévaluent plus que nous, n’est pas un obstacle. En réalité, cet argument ne tient pas compte des réalités de l’économie. Il est en effet très difficile pour un pays qui a une balance commerciale massivement excédentaire et une balance des paiements équilibrée de voir sa monnaie se déprécier. Si nous prenons en compte le cas de l’Allemagne, il est certain que sa monnaie (le DM) s’apprécierait fortement, ce qui provoquerait un écart avec le Franc d’environ 40%. Une dépréciation de la Lire italienne et de la Peseta espagnole est par contre certaine. Elle devrait être légèrement plus importante que celle du franc français, la lire se dépréciant d’environ 10% de plus que le Franc et la Peseta d’environ 15%. Cette situation se révèle pourtant favorable tant pour la France que pours les divers pays du «Sud» de la zone euro. Que se passerait-il alors ? L’excédent commercial «monstrueux» de l’Allemagne, excédent qui détruit les économies européennes, disparaitrait du fait de l’écart entre les taux de change du Franc, de la Lire et de la Pesetas avec le deutsche mark. Cet excédent serait pour partie recyclé dans un excédent français qui, à son tour, disparaîtrait au profit de l’Italie, de l’Espagne et de la Grèce et du Portugal. En fait, les produits français gagneraient fortement en compétitivité par rapport aux produits allemands mais, en contrepartie, ils perdraient en compétitivité par rapport aux produits italiens et espagnols. Ceci a été testé, et l’on peut montrer que des dépréciations monétaires engendrent une forte croissance non seulement pour la France, mais aussi pour l’ensemble de l’Europe du Sud.
La fin de l’euro est-elle la fin de l’Union européenne ?
C’est là un des arguments les plus répandus chez les personnes qui, après avoir reconnu et admis que l’Euro était une mauvaise chose pour la France mais aussi pour l’Union européenne, vous disent que sortir de l’euro entraînera automatiquement la fin de l’UE. Or, il faut rappeler qu’il y a des pays, et des pays importants, qui font partie de l’UE et pas de la zone euro : la Grande-Bretagne, la Pologne, la Suède. Par ailleurs, l’UE a existé bien avant que ne soit créé l’Euro. Il est donc faux de dire qu’un éclatement de la zone Euro conduirait inéluctablement à un éclatement de l’UE. En fait, c’est l’existence de l’euro qui compromet aujourd’hui la stabilité de l’UE et qui la rend, dans tous les pays, massivement impopulaire. C’est au nom de l’euro que l’on a imposé des politiques d’austérité qui sont meurtrières (au figuré mais aussi au propre, que l’on pense à la montée des suicides et des pathologies) aux pays de l’Europe du Sud. C’est l’euro qui, par ses effets négatifs sur la croissance, fait qu'aujourd’hui l’UE apparaît comme une zone de stagnation économique tant par rapport à l’Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada) que par rapport à la zone Asie-Pacifique. C’est l’euro, du fait de la crise qu’il provoque à l’intérieur de certains pays, qui menace la stabilité politique et l’intégrité de ces derniers. C’est la raison pour laquelle, avec les économistes du European Solidarity Manifesto, nous appelons à mettre fin à l’euro avant que ce dernier n’ait tué tant la France qu’une bonne partie de l’Europe.
Mais, il ne faut cependant pas se voiler la face. L’euro a contaminé l’UE. Un certain nombre de réglementations européennes sont liées à l’existence de l’euro. D’autres, sans l’être directement sont en réalité nocives. De plus, le cours «libre-échangiste» pris par l’UE est une menace pour les travailleurs de tous les pays de l’UE. Il serait bon, alors, que profitant du choc provoqué par une dissolution de l’euro (qu’elle soit contrôlée ou non) on puisse profiter de l’occasion pour remettre à plat un certain nombre de problèmes de l’UE (et en particulier les règles de négociation qui conduisent à l’acceptation du «grand marché transatlantique»). Ceci impose qu’un gouvernement qui se fixerait comme objectif de sortir de l’euro ait aussi des idées précises sur ce que pourrait être la coopération entre pays européens dans le cadre d’une UE profondément réformée.
Source : russeurope.hypotheses.org