Le printemps arabe, un échec sanglant

Selon un spécialiste de sécurité, Jean Monjaret, les évènements tragiques de Tunisie constituent une démonstration par l’horreur de l’échec de toutes les tentatives de transition démocratique dans le monde arabo-musulman.

Il n’est pas facile de s’y résoudre. En premier lieu pour les habitants des pays concernés bien sûr, mais aussi pour les Etats qui avaient salué cette cascade de révolutions.

François Hollande, commentant l’attentat du Bardo, a par exemple tenu à réaffirmer son optimisme vis-à-vis du « Printemps arabe » malgré le drame. «Pour la Tunisie c’est une épreuve, une de plus. Alors que c’est un pays qui a réussi son transition démocratique, qui a créé cette espérance du printemps arabe », a-t-il déclaré. Pourtant le « printemps arabe », salué par le chef de l’Etat Français, a sans doute suscité des espérances mais a échoué partout.

De nombreuses voix se sont récemment élevées en  pour saluer le « succès » des récentes élections présidentielles tunisiennes, en novembre-décembre derniers. Ce suffrage, pourtant, a porté au pouvoir un vieillard de 89 ans, Béji Caïd Essebsi, dont la principale vertu est de renvoyer aux temps heureux du Président Bourguiba, dont il fût le ministre des affaires étrangères. Mais au-delà de l’âge du nouveau chef d’Etat tunisien, qui atteste de l’incapacité de la classe politique tunisienne à se renouveler, c’est le taux d’abstention constaté lors de ces élections qui est le plus éloquent. 62% de participation seulement au second tour du scrutin, c’est un score extrêmement faible alors que c’était la première fois que les Tunisiens avaient dans leur histoire l’occasion d’élire leur chef de l’Etat au suffrage universel. Il témoignait déjà du désenchantement de la population envers le processus de démocratisation.

Par ailleurs Ennahdha, le parti islamiste tunisien qui a envisagé de baser la constitution du pays sur la Charia, reste un acteur incontournable de la vie  tunisienne. Il est intégré dans la coalition politique au pouvoir alors même qu’il a eu des « faiblesses » coupables vis-à-vis des mouvements salafistes radicaux lorsqu’il était aux affaires. Ces mêmes milieux salafistes dont sont issus les auteurs de plusieurs assassinats politiques et parmi lesquels se recrutent des bataillons de djihadistes. Avec plus de 3000 radicaux combattant en Syrie selon certaines sources , la Tunisie fournit en effet le plus gros contingent de combattants étrangers à l’Etat islamique (EI). Des militants qui, lorsqu’ils rentrent chez eux sont aguerris au combat, plus fanatisés que jamais et, surtout, disposent en , de l’autre côté d’une frontière totalement poreuse, de bases arrières solides.

La Libye, justement, est peut-être l’Etat qui présente le pire bilan parmi ceux qui ont été victimes du « Printemps arabe ». Kadhafi était un dictateur mégalomaniaque et sans pitié, mais qui était parvenu à maintenir la paix au sein d’un Etat n’incarnant pas une nation mais un assemblage de tribus rivales. Sa chute, causée par les frappes des aviations occidentales et, notamment, françaises, a provoqué un chaos indescriptible. Le sud de la Libye est aujourd’hui un sanctuaire aux mains d’Al Qaïda qui, de là, essaime au Niger, au Mali, au Tchad et jusqu’au Nigéria. Le nord du pays est partiellement aux mains des fous d’Allah de  dont le dernier coup d’éclat a été d’assassiner 21 coptes égyptiens venus chercher du travail en Libye, 21 hommes qui n’avaient commis d’autre crime que celui d’être chrétiens. La Libye peut aujourd’hui être considérée comme un Etat failli, en voie de dissolution.

Le pire a été évité en Egypte. Les Frères Musulmans, arrivés au pouvoir dans la foulée de la chute d’Hosni Moubarak en se prétendant démocrates avant de, très vite, jeter le masque et assumer leur intégrisme intolérant, ont été écartés par l’armée. Mais ils demeurent une menace, eux et leurs alliés salafistes. Certes le régime du maréchal Al-Sissi ne peut être qualifié de démocratique, mais il a du moins ramené l’ordre.

Il en va de même en Syrie. Si Bachar el-Assad s’est avéré un chef d’Etat aussi dur que son père, il est bel et bien le plus solide rempart, aux côtés de ses alliés chiites libanais, irakiens et iraniens, contre les mouvements islamistes radicaux. C’est en , sans doute, que les masques sont le plus vite tombés et que la présentation, par les médias occidentaux, de la rébellion contre Bachar comme un grand mouvement populaire démocratique, a été la plus vite démentie. Entre 200 et 250 000 morts, un Etat partiellement aux mains des psychotiques de l’Etat Islamique, le bilan est terrible et l’opposition « démocratique », ultra-minoritaire, en exil.

Quatre ans après les premières manifestations de Sidi Bouzid, qui donnèrent en Tunisie le coup d’envoi du « Printemps arabe », on ne peut donc qualifier ce dernier de phénomène positif. La démocratie n’a triomphé nulle part. A contrario l’obscurantisme religieux le plus rétrograde a progressé partout. De Tunis aux portes de Bagdad, terrorisme, guérillas, exécutions sommaires, massacres de femmes et de chrétiens, réduction en esclavage de populations entières, trafic d’êtres humains, sont le lot commun de dizaines de millions de personnes. Le Yémen est en pleine guerre civile entre chiites d’une part, sunnites de l’autre. La Jordanie, le Maroc, l’Algérie, protégés par un pouvoir fort, celui des rois Mohammed VI, Abdallah II et de l’armée algérienne n’en sont pas moins en sursis. Les fanatiques frappent à Paris, Bruxelles, Copenhague. Le « Printemps arabe », n’en déplaise aux idéalistes, se résume aujourd’hui à un « hiver islamiste. »