Trump et les sanctions : la Russie est-elle vraiment la cible ?

Derrière ses menaces tonitruantes contre Moscou, Trump tend un piège à ses alliés. Le géopolitologue Alexandre Regnaud décrypte une manœuvre qui met à nu la faiblesse stratégique de l’Union européenne, sommée d’assumer une politique qu’elle n’a ni la force ni la cohérence de porter.

Zelensky et les chefs d’États et de gouvernements européens sont en boucle sur ce thème depuis plusieurs semaines et pleurnichent à tour de rôle dans les médias et lors de leurs visites d’État ou de travail à Washington : il faut faire davantage pression sur la Russie. L’Union européenne tente bien un 19e paquet de sanctions, mais celui-ci s’avère aussi inefficace que les 18 premiers. Il faut donc, d’après eux, que l’initiative vienne des États-Unis.

La réponse de Trump a été très claire : il est parfaitement d’accord pour renforcer considérablement les sanctions contre la Russie et ses partenaires, mais à une seule condition : être accompagné totalement en cela par les autres pays de l’OTAN, incluant donc l’Union européenne.

Comme le rapporte la BBC, Trump demande simplement que tous les pays de l'OTAN arrêtent « d'acheter du pétrole russe » et imposent des « tarifs de 50 à 100 % sur la Chine ». Alors, les États-Unis déclencheront un train de sanctions présenté comme radical.

Dans la forme, cela semble absolument logique. L’OTAN étant quasiment partie prenante du conflit et entièrement solidaire du régime de Kiev, il est cohérent qu’elle agisse de concert.

Dans les faits, Trump vient sans doute de piéger les va-t-en-guerre européens et d’exposer au grand jour leur incohérence et leur faiblesse. 

Concernant le pétrole, les faits sont là. Malgré une réduction significative, l'Europe achète toujours 19 % de son énergie à la Russie. Bien que l'UE se soit engagée à un abandon progressif, son échéance n'est prévue que pour 2027, et certains pays, notamment la Slovaquie et la Hongrie, s’y opposent ouvertement.

On ne parlera bien entendu pas de la Turquie, concernée en tant que membre de l’OTAN et plaque tournante des énergies russes.

On peut également évoquer l’Allemagne, dont l’économie, pourtant la première de l’UE, est désormais en récession depuis 2023 du fait des politiques énergétiques russophobes de son gouvernement, et dont le secteur industriel, base de son modèle économique et déjà bien abîmé par les sanctions précédentes, ne survivrait pas à un tel choc, aujourd’hui encore moins que dans deux ans. Pour rappel, les faillites sont en augmentation de 9,4 % rien qu’au premier trimestre 2025 par rapport à 2024 et elles ont déjà causé 33,4 milliards d'euros de dommages et entraîné la perte de 141 000 emplois sur le seul premier semestre 2025.

Quant aux sanctions secondaires, notamment contre la Chine, c’est évidemment une boîte de Pandore. Cela signifierait, de la part de l’UE, le déclenchement d’une guerre commerciale majeure avec son deuxième partenaire commercial après… les États-Unis (soit 732 milliards d’euros d’échanges commerciaux).

Au-delà de l’impact global sur l’économie mondiale, il y aurait de quoi ruiner définitivement un secteur industriel européen déjà mal en point depuis les sanctions antirusses, comme nous venons de le voir.

Et bien entendu, un effet inflationniste terrible alors que la consommation des ménages est déjà à la peine dans un contexte économique de plus en plus tendu (toujours à cause des mêmes sanctions…) et une tendance accrue à la paupérisation. On rappellera que le taux de pauvreté a atteint 15,4 % en France en 2023, avec une augmentation de 650 000 personnes pour atteindre 9,8 millions d’habitants, soit un record depuis le premier relevé de l’INSEE en 1996.

D’autant plus que rien ne garantit que de telles sanctions secondaires aient le moindre effet. L’exemple récent de l’Inde le prouve. Face à des tarifs douaniers de 50 % de la part des États-Unis, le Premier ministre Narendra Modi a explicitement déclaré que la sécurité énergétique de son pays était prioritaire et qu'il était prêt à en « payer le prix lourd », montrant que même sous pression, certains pays ne plient plus face au diktat de l’Occident. C’est aussi cela, l’émergence d’un nouveau monde multipolaire.

On l’aura compris, les conditions de Trump pour imposer des sanctions contre la Russie sont en fait absolument irréalistes. Tant en pratique, pour atteindre l’alignement des 32 membres de l’OTAN, que surtout économiquement et politiquement, en particulier pour les pays de l’Union européenne.

Mais en parlant fort, Trump fait d’une pierre deux coups. Il rejette sur l’UE la responsabilité de l’échec de la politique de sanctions et lui transfère la charge de l’action dans le conflit ukrainien.

Il permet ainsi de repousser ad vitam de nouvelles sanctions américaines, et donc de donner une chance à la paix comme lui-même la conçoit à la suite de sa rencontre avec le président Poutine en Alaska. Paix à laquelle les mêmes Européens font tout leur possible pour faire barrage.

Ce qui expose au grand jour, par la même occasion, leur faiblesse et leur incohérence. Le caniche européen aboie fort, mais quand il s’agit de mordre, il se cache derrière son maître américain en attendant qu’il agisse à sa place.

La chose n’est pas nouvelle, mais Trump vient une fois de plus d’en donner l’illustration et envoie un message : si l’Union européenne veut continuer la guerre en Ukraine, qu’elle l’assume et achève ainsi sa propre destruction ; sinon, qu’elle se taise.

Malheureusement, entre bêtise et corruption, il n’est pas du tout sûr que l’UE fasse le choix du silence.