RT France : Comment pourriez-vous expliquer le résultat du scrutin du dimanche dernier ?
Christophe Barret : C’est un vote de sanction contre les deux partis du gouvernement : le Parti populaire et le Parti socialiste, auxquels la population reproche premièrement d’être responsable de la politique d’austérité, ayant mis près de la moitié des jeunes au chômage, un quart de la population active. Deuxièmement la corruption qui fait polémique ces dernières années en Espagne. Les électeurs ont préféré voter pour un parti qui, lui, est financé par le micro-crédit, qui appelle au renouvellement du personnel politique – en quelque sorte, l’on assiste à une déprofessionnalisation du milieu des députés – et qui essaie de rester fidèle à ses principes, c’est-à-dire ceux de la justice sociale, de la démocratie et de la souveraineté, ce qui est quelque chose d’intéressant dans l’Europe d’aujourd’hui.
RT France : Ce vote, selon vous, signifie-t-il la fin du bipartisme en Espagne ?
Christophe Barret : Oui, clairement. Il signifie tellement la fin du bipartisme qu’on ne sait même pas s’il y aura une majorité pour gouverner l’Espagne demain. Eu fait, le roi d’Espagne a deux mois pour proposer le nom d’un nouveau député au poste de Premier ministre, un nom qu’il doit choisir bien entendu à partir d’une liste établie par le président du congrès des députés, mais l’on ne sait pas si d’ici deux mois il pourra y arriver. Au bout des deux mois la Constitution oblige la tenue de nouvelles élections. Et là bien sûr, les partis traditionnels n’y ont pas beaucoup intérêt. Ce sont plutôt les jeunes partis qui peuvent reprendre encore des voix, si des nouvelles élections avaient lieu. Le système semble donc bien bloqué.
Même plus, ces partis sont très divisés sur une question essentielle - celle de l’avenir de la Catalogne, cette région dont les élus veulent l’indépendance, que ne veut ni la droite ni les socialistes, si elle est unilatérale.
Podemos a dit qu’il était pour le droit décidé, mais l’on ne sait pas de quoi, c’est un peu ambigu.
En fait, il y a 10 partis en tout qui sont élus au Congrès des députés espagnols, l’assemblée des députés.
Il pourrait y avoir une très courte majorité de 176 sièges entre le Parti socialiste, Podemos et d’autres nationalistes. Mais là, avec un ensemble de nationalistes qui sont soit tout simplement autonomistes, soit, comme d’autres, beaucoup plus radicaux dans leurs revendications d’indépendance. Personnellement, je n’y crois pas beaucoup.
En savoir plus : L’échec annoncé du parti espagnol Podemos
RT France : Mais comment un parti n’ayant que deux ans d’existence a réussi à réunir autant de voix ?
Christophe Barret : Tout simplement parce que ce parti a fait le bon constat au moment de l’éclosion du mouvement des indignés en 2011. En fait ce parti reçoit les votes, les voix de soutien des citoyens qui sont engagés dans le mouvement des indignés, qui participent dans ce renouvèlement de la vie politique depuis, au niveau local ou national. Mais à l’origine l’on trouve des universitaires, des spécialistes de sciences politiques. C’est ça qui est intéressant. Cela signifie que bien avant le mouvement des indignés les inspirateurs de Podemos sont des gens de la gauche radicale qui se demandent comment décloisonner cette gauche radicale, comment lutter pour leur idéal marxiste, socialiste dans le monde d’aujourd’hui.
Sachant bien sûr qu’il ne faut pas répéter ce qu’était l’URSS. On joue le jeu de la démocratie, mais on veut radicaliser la démocratie. Effectivement, ils courent beaucoup dans l’ambiguïté sans moyen d’y parvenir, mais ils restent fidèles à leur principe de justice. L’un de leurs inspirateurs, Juan Carlos Monedero, disait que c’est comme du léninisme aimable. Si je suis communiste, je suis marxiste. Tout simplement j’essaie de réinventer le marxisme du XXIème siècle. C’est ça qui est intéressant. Juan Carlos Monedero dit donc : «je sais bien que ce n’est qu’en période de crise que les communistes peuvent prendre le pouvoir, comme ils l’avaient fait en 1917».
RT France : Le leader du parti Podemos, Pablo Iglesias Turrión, a dit que le pays entrait dans une nouvelle ère politique. Etes-vous d’accord ?
Christophe Barret : Je pense que oui, parce que cette fin du bipartisme, pour voir un peu ce que peut être le socialisme encore très virtuel au XXIème siècle. En tout cas, il y a un nouveau concept, une idée qui est apparue, un nouveau terme, prononcé par Carolina Bescansa, une autre députée élue de Podemos sur la région de Madrid, qui, elle, parle de démocratie consensuelle. Et effectivement, ça change le système pour les partis, au coup par coup comme il n’y a pas de majorité à l’Assemblée, ils vont être obligés de se mettre d’accord sur telle ou telle loi, au fur et à mesure qu’elles arriveront devant les députés.
C’est un système qui est un peu expérimental en ce moment au Portugal, entre tous les partis de gauche avec un parti socialiste qui est au pouvoir, qui est au gouvernement, les autres qui n’y sont pas mais qui le soutiennent au coup par coup. Mais au Portugal la gauche a la majorité, ce qui n’est pas le cas dans le Parlement espagnol, où il y a la gauche et la droite et puis les nationalistes. La situation est un peu plus compliquée pour introduire cette démocratie consensuelle.